Un rêve d'adolescent
Je ne suis pas de ceux qui ondulent dans leurs opinions
au gré des circonstances. Déjà,
au temps de l'adolescence, mon instinct me poussait
à prendre le parti qui est le mien aujourd'hui.
Est-ce en raison des longues années que j'ai
passées à l'étranger au contact
d'enfants venus des quatre coins d'Europe? A cette
époque déjà, j'étais pénétré
de la conscience toute simple de ma patrie, mais aussi
du sentiment plus sourd d'une communauté d'histoire
et de civilisation avec les autres peuples européens.
Et, parfois, lorsque nous nous retrouvions, entre
camarades scouts, le soir autour du feu, nous faisions
le serment de servir notre peuple. Serments juvéniles
mais profondes convictions qui ne m'ont jamais quitté,
précisément parce qu'elles n'ont rien
de dogmatique et qu'elles s'enracinent dans la conscience
des âges anciens et dans la fierté que
m'inspire notre civilisation. Parviendrons-nous à
remettre cet héritage aux générations
qui nous suivent? Telle est l'angoissante question
qui détermine toute ma vie de combat. Car,
je le sais, rien n'est jamais acquis, rien n'est écrit,
tout se mérite et il n'est pas de grande oeuvre
qui ne soit le fruit d'une volonté de dépassement.
« Une vie réussie est
un rêve d'adolescent réalisé dans
l'âge adulte », disait Alfred de Vigny.
Ce rêve, je l'ai conçu il y a longtemps
et je ne l'ai jamais abandonné. A une autre
époque, il se serait sans doute incarné
dans une carrière de soldat, carrière
de grandeur et de servitude que j'avais un moment
envisagée à ma sortie de Polytechnique.
Mais aujourd'hui il s'exprime par une action politique:
combat épique ou dérisoire du rêve
et de la volonté contre la pesanteur des événements
et l'inertie des hommes!
Dur est parfois le carcan qui enserre
ceux qui refusent d'être les simples spectateurs
du cours des événements. Par bonheur,
il arrive que l'histoire relâche son étreinte
et il est des moments privilégiés où
brusquement ce qui était impossible ne l'est
plus.
C'est ainsi que j'ai vécu le
printemps 1981, car d'emblée j'ai pressenti
que s'amorçait la fin de l'ancien monde politique.
Jusqu'alors, tout semblait figé dans une médiocrité
distinguée. Sous le choc du tremblement de
terre socialiste, de grandes mutations se préparaient.
Dorénavant, les forces et les idées
nouvelles allaient pouvoir émerger.
Je démissionnai aussitôt
du RPR où m'avaient conduit les accents patriotiques
du mouvement gaulliste des origines. J'en éprouvai
un grand soulagement car, derrière les incantations
gaulliennes, on n'y entendait déjà plus
que le babil des courtisans et le croassement des
technocrates.
Avec quelques amis, je fonde alors
les Comités d'action républicaine. Il
s'agit de s'engouffrer dans la brèche ouverte
au sein de l'établissement et d'occuper l'espace
nouveau qui se dégage en dehors des partis
institutionnels. Des comités de citoyens s'organisent
partout à travers la France, puis nous regroupons
clubs et associations qui se réunissent en
états généraux le 5 février
1984: plus de cent clubs, deux mille délégués.
L'équivalent d'un véritable mouvement
politique. Nous aurions pu alors constituer une liste
pour les élections européennes; c'était
mon ambition secrète, elle n'a pas abouti.
Peu importe, car le Front national s'est présenté
et a réalisé sa percée. Dès
lors, il était logique que nous le rejoignions.
N'incarnait-il pas, de façon certes embryonnaire
mais néanmoins prometteuse, ce courant nouveau
auquel nous aspirions depuis si longtemps?
Si j'étais resté au
RPR, j'aurais été élu député-maire
de Poissy, puisque tel est le sort de celui qui m'y
a succédé. Peut?être aurais-je
occupé un poste ministériel. J'aurais
ainsi goûté aux délices frelatées
des privilèges de l'établissement. Mais
en échange de quels renoncements, de quelles
compromissions, ou même de quelle soumission
à un lâche conformisme?
Je suis un homme libre, je suis
libre de mes convictions et de mes actes. Et je me
sens à la pointe de l'une des grandes aventures
politiques de notre époque.
Certes, dans un parti institutionnel,
j'aurais bénéficié de la considération
des hommes en place. Mais qu'en ai-je à faire?
L'important est d'être en paix avec sa conscience
et en harmonie avec l'idée que l'on se fait
de son devoir. Pour le reste, seule compte l'estime
de ceux que l'on respecte!
D'ailleurs, le vrai courage ne consiste-t-il
pas à rester fidèle à ses engagements,
même au risque d'être pris pour un autre
et désigné au public pour ce qu'on n'est
pas? Le vrai courage, il n'est certainement pas du
côté du pouvoir qui accable une minorité
sous les applaudissements des médias, mais
bien plutôt chez ceux contre qui se liguent
les puissants et qui refusent de se soumettre. Songez
à ces Français qui portent nos couleurs
dans les villes et les campagnes de France: leur engagement
ne leur vaut que l'opprobre muet ou l'agressivité
sournoise des notables bien pensants. Je crois qu'ils
constituent pour cette raison une véritable
élite civique, car rares sont les citoyens
qui peuvent prétendre comme eux avoir sacrifié
leur intérêt personnel à l'idée
qu'ils se font de l'intérêt général.
Le temps de
la grandeur
L'histoire nous enseigne que les grands courants politiques
ont presque toujours pris leur source en dehors des
institutions. Et il est rare qu'ils aient pu se développer
sans que leurs promoteurs aient dû prendre des
risques, rejeter les conformismes et affronter les
attaques lancées par l'établissement.
Aussi, le soir, parfois, lorsque me
gagnent la lassitude et le découragement, à
l'image d'une grande muraille barrant l'horizon, je
m'attarde à contempler cet étrange diptyque:
d'un côté, une oligarchie coupée
du peuple, ayant perdu ses convictions, gagnée
par la corruption, sans projet car seulement préoccupée
de ses privilèges; et de l'autre, des femmes
et des hommes sans pouvoir, certes, mais poussés
par un idéal et animés par une volonté.
Qui peut croire que la balance ne finira pas par pencher
en faveur de ces derniers? Le courage n'est-il pas
plus fort que l'esprit de démission et les
convictions plus fécondes que l'opportunisme?
Une grande confiance me gagne alors,
et la foi dans le destin, dans l'avenir de notre entreprise
et de notre pays me revient. C'est pourquoi je suis
convaincu au plus profond de moi que notre volonté
balaiera tous les obstacles et que nous l'emporterons.
Il ne s'agira cependant pas de gérer
frileusement le quotidien. Avec nous renaîtra
le temps de la grandeur. Tout simplement parce que
nous renouerons avec la France des grandes ambitions.
En parcourant l'Afrique noire pendant deux années
comme conseiller technique au cabinet du ministre
de la Coopération, j'ai pu mesurer ce qu'a
été notre nation et ce qu'elle représente
encore. Aujourd'hui, je sens confusément que
cette force vitale qui l'a poussée par-delà
les océans n'est pas éteinte.
Misons donc sur notre patrie, sur
cette France ciselée par les hommes, où
chaque ville, chaque village porte la marque de la
souffrance de nos ancêtres et le sceau de leur
génie. Cette France des terroirs, où
chaque coteau, chaque vallon, chaque lopin, façonnés
par des siècles de labeur, porte un nom et
possède une histoire. Cette France couverte
de chapelles et de cathédrales, sublimée
par la foi où s'enracinent mes vieilles attaches
catholiques. Cette France des petites villes de Provence
noyées de soleil dont j'ai parcouru une à
une les places et les ruelles, cette France du plateau
du Vercors balayé par le vent d'hiver dont
j'ai visité chaque village et contemplé
chaque clocher. Soyons fiers de cette France et de
cette vieille Europe qui, au fil des siècles,
ont conçu la plus extraordinaire civilisation
que notre monde ait connue, fiers de notre peuple
qui a su la créer, fiers de ses vignerons de
Bourgogne, de ses ouvriers du Nord, de ses bâtisseurs,
de ses ingénieurs, fiers de tous ceux qui ont
sculpté, peint, écrit, composé,
inventé, conquis, fiers de tous ceux qui se
sont battus et ont donné leur vie à
Poitiers comme à Austerlitz, à Verdun
comme à Diên Biên Phu.
Qu'allez-vous faire?
Aujourd'hui, ils nous regardent et ils nous jugent.
Ils voient notre vieille patrie envahie, déchirée,
impuissante, qui doute et se dissout. Ils la contemplent
toute essoufflée sur le bord du chemin et nous
demandent: « Qu'allez-vous faire ? »
Sans hésiter, nous répondons:
reprendre la route et ouvrir à la France les
voies de la renaissance. Tel est notre combat, telle
est la flamme qui nous anime. Nous n'avons d'autre
ambition que la survie, la liberté, la prospérité
et la grandeur de notre peuple, et si nous nous opposons
aujourd'hui à la classe politicienne, c'est
parce qu'elle nous paraît mener notre patrie
au déclin et que le temps nous semble venu
d'une grande alternance politique qui redonne à
la France la foi en elle-même et en son destin.
Certains vous auront dit tout autre
chose sur notre compte: je crois qu'ils se trompaient
ou qu'ils vous trompaient.
Quoi qu'il en soit, voici ma vérité
sur la France.
Jugez vous-mêmes!