Le chagrin et l'espérance
Sommaire :
Prologue: Pour tourner la page
Chapitre
1: Le précédent inacceptable
Chapitre
2: Les dérives suicidaires
Chapitre
3: La purge à tout prix
Chapitre
4: Le sursaut salvateur
Chapitre
5: L'épreuve nécessaire
Chapitre
6: Le nouveau départ
Chapitre 5
L'épreuve nécessaire
Du congrès de Marignane au scrutin européen
Dès lors que le congrès de Marignane débouchait
sur la création d'un nouveau FN, baptisé Front national-Mouvement
national, il ne faisait plus de doute que vous vous lanceriez
dans la bataille européenne. Est-ce que ces élections
ne venaient pas trop vite ?
Au lendemain du congrès de Marignane, nous nous sommes
retrouvés dans une situation tout à fait exceptionnelle,
avec soudain deux Front national sur la scène publique
: un Front national revenu en quelque sorte à ses origines,
n'existant que par la seule personne de Le Pen, et le
nôtre, un Front national rénové, débarrassé des tares
anciennes et issu de la volonté des militants dont il
tirait sa légitimité. Dès lors, il n'y avait à mes yeux
aucune hésitation possible. Bien que la crise ne soit
pas encore terminée et que le FN résiduel de Le Pen n'ait
pas disparu, nous devions aller au bout de notre démarche
et assumer notre initiative devant nos compatriotes pour
asseoir notre existence politique. Nous nous devions donc
de participer aux européennes.
Sans doute eût-t-il été préférable que cette élection
intervienne un an plus tard. Nous aurions alors disposé
du temps nécessaire pour expliquer la scission aux Français
et leur faire comprendre qui nous étions et ce que nous
voulions. Je suis convaincu que notre score aurait alors
été totalement différent. Mais je n'avais pas la maîtrise
du calendrier, ce qui prouve bien une fois de plus qu'il
n'y avait pas de "complot". Il fallait donc aller, en
pleine crise, devant les électeurs et affronter cette
épreuve inévitable sans la moindre faiblesse. Nous avons
donc fait face et nous nous sommes lancés dans la bataille.
Dans le dénuement qui était alors le vôtre, n'était-ce
pas suicidaire de vous engager dans une telle bataille
?
Non, c'est notre absence d'un débat aussi important que
celui des européennes qui aurait été suicidaire. Car un
grand mouvement politique n'existe que s'il est capable
de se présenter à toutes les échéances. Alors, c'est vrai,
nous étions dans un dénuement matériel presque total.
Notre mouvement venait à peine de prendre corps, son appareil
était désorganisé, nous ne détenions plus rien de la logistique
ni des structures de l'ancien FN. Nous ne possédions pas
de compte bancaire et nous n'avions pas un centime à y
mettre, les comptes de nos fédérations étaient bloqués,
nous n'avions plus de siège national, plus de matériel
de propagande, je ne disposais d'aucun bureau et l'équipe
dirigeante était dépourvue de tout moyen d'action. Alors
même que Le Pen avait déjà déclenché son harcèlement judiciaire
contre nous.
D'une certaine façon, n'importe qui aurait en effet pu
juger qu'il était impossible dans ces conditions de se
lancer dans une grande élection comme les européennes.
Pourtant, tout comme mes amis, je ne me suis jamais posé
cette question et je n'ai jamais douté que nous réussirions
à surmonter toutes ces difficultés, car je savais que
nous disposions d'autres atouts autrement plus importants.
J'avais le soutien actif de la majorité des cadres et
des élus de l'ancien Front national et je savais que leur
enthousiasme et leur dévouement compenseraient notre grande
pauvreté.
Face à cette échéance européenne, quelle a été votre
priorité ?
Ma priorité a d'abord été de reconstruire un parti politique
à part entière. Il m'a donc fallu remplacer les cadres
qui ne nous avaient pas suivis. Au plan national, j'ai
choisi de nommer Jean-Yves Le Gallou et Serge Martinez
aux postes respectifs de délégué général et de secrétaire
général. Et, avec eux, j'ai très vite mis en place un
état-major performant au grand complet. Franck Timmermans,
nommé secrétaire général adjoint, s'est vu confier la
lourde responsabilité des fédérations avec la tâche de
remplacer tous les secrétaires départementaux qui étaient
restés chez Le Pen et de reconstituer le réseau des fédérations
départementales. Il a fallu ensuite recréer de nouvelles
structures administratives et financières, louer un siège
national aux dimensions modestes mais susceptible d'accueillir
tous les bénévoles, cadres ou militants, qui voulaient
participer à notre entreprise et mettre tout le monde
au travail.
En un mois, c'était chose faite et, dès le 26 février,
je commençais mes tournées par une réunion dans le Nord.
En un mois, nous étions en mesure d'aborder la campagne
avec suffisamment de force pour nous imposer au moins
sur le terrain.
Selon quels principes avez-vous alors conçu votre campagne
?
Dès que le mouvement a été remis sur pied, il nous a fallu
concevoir une campagne électorale de grande envergure.
Cela ne nous a pas posé de problèmes, car j'avais, tout
comme ceux qui m'entourent, une longue expérience des
batailles électorales. Rapidement, un plan de campagne
a été dressé. Mon intention était de faire feu de tout
bois et de compenser nos handicaps par un dynamisme décuplé.
Il a donc été prévu une distribution massive de documents,
un affichage maximum dans les villes et sur les routes,
un quadrillage serré de réunions. L'idée était de contrebalancer
le déficit médiatique qui allait être le nôtre par une
présence intense et prolongée sur le terrain à la rencontre
de nos compatriotes. Ce plan était d'autant plus logique
que nous disposions d'un réseau d'élus, de cadres et de
militants entraînés, capables de se mobiliser face à nos
concurrents, et notamment face au Front national résiduel.
A ce propos, aviez-vous pris en compte la difficulté
supplémentaire liée à la concurrence du Front national
lepéniste ?
Cette présence nous imposait de procéder à un choix stratégique
clair. Deux possibilités s'offraient à nous. Soit nous
recherchions un électorat nouveau en mettant l'accent
sur nos différences avec Le Pen. Soit nous visions à recueillir
la plus grande partie de l'électorat de l'ancien FN et
nous donnions la priorité à ce qui marquait une certaine
continuité. Il m'est apparu à l'évidence qu'il ne fallait
pas abandonner la proie pour l'ombre. Nous n'avions que
très peu de temps pour nous faire connaître et nous devions
donc toucher prioritairement les électeurs qui nous étaient
le plus proches, c'est-à-dire ceux de l'ancien Front national.
Il nous fallait donc, conformément à l'esprit de Marignane,
nous présenter comme le Front national rénové, l'élection
européenne devenant ainsi la dernière phase de la crise,
celle qui devait amener son dénouement, cette fois devant
l'ensemble de nos électeurs. Certes, l'idéal aurait été
que nous puissions d'emblée nous affirmer après le congrès
de Marignane comme un nouveau mouvement et disposer de
temps pour le construire. Mais l'échéance européenne nous
a contraints à une sorte de primaire avec le Front national
lepéniste, ce qui impliquait d'apparaître comme l'avenir
du FN. D'où le slogan "Mégret l'avenir" lancé dès le lendemain
du congrès.
En décidant de cibler l'électorat de l'ancien Front
national, ne risquiez-vous pas de vous enfermer mécaniquement
dans une querelle "fronto-frontiste" ?
Il est vrai que nous étions confrontés à une difficulté
majeure, car les électeurs de l'ancien FN ne comprenaient
rien à ce qui s'était passé à l'intérieur du mouvement.
Dans l'ignorance pour la plupart des causes de la crise,
ils pouvaient être portés à croire qu'il s'agissait d'une
simple querelle de chefs et, plus grave, que c'était moi
qui, par pure ambition personnelle, avais provoqué la
scission. Déjà, de nombreux adhérents, peu au fait des
arcanes du mouvement, ne parvenaient pas à comprendre
ce qui s'était produit. Il était clair que l'incompréhension
risquait d'être plus forte encore chez les électeurs.
Pour éviter qu'ils ne nous sanctionnent par un vote hostile
ou par une abstention, il fallait donc s'employer à leur
expliquer les raisons de cette crise.
Mais se posait alors la question de l'attitude à adopter
à l'égard de Le Pen. Fallait-il l'attaquer très vivement
en portant sur la scène publique les critiques que nous
lui avions adressées en interne ? Fallait-il au contraire
l'ignorer complètement et ne parler aux électeurs que
des grandes questions politiques qui les concernent ?
Aucune de ces deux attitudes ne me paraissait pleinement
satisfaisante. Attaquer Le Pen violemment, c'était certes
se donner le maximum de moyens pour expliquer la crise,
mais c'était aussi se livrer à un grand déballage de linge
sale en public qui ne pouvait que rebuter nos électeurs.
A l'inverse, ne rien dire revenait à offrir à Le Pen le
privilège de faire connaître de façon univoque sa version
de la crise en nous privant de la possibilité de répondre
à ses accusations mensongères. Face à ce nouveau dilemme,
j'ai décidé d'adopter pour la campagne électorale une
ligne de conduite extrêmement simple : traiter Le Pen
comme un concurrent politique parmi d'autres, que l'on
se doit d'attaquer, mais sans le prendre pour cible prioritaire.
Avec le recul, pensez-vous que cette ligne de conduite
ait été comprise par tous ?
Comme toujours lorsque vous suivez un chemin étroit, votre
démarche fait l'objet d'appréciations contradictoires.
Certains me poussaient à attaquer davantage quand d'autres
m'adjuraient de ne pas le faire du tout. Je crois cependant
que la ligne que j'ai suivie était la seule possible.
Elle n'était pas sans inconvénients, mais elle présentait,
je crois, le grand avantage de limiter au minimum les
effets négatifs de la crise. D'autant que, aussi sensible
soit-il, cet aspect de notre campagne était somme toute
mineur par rapport aux nombreux thèmes que nous avons
abordés. Car, précisément, il n'était pas question pour
moi, à l'occasion de ces européennes, de conduire une
opération anti-Le Pen, mais de mener une campagne électorale
normale tournée vers la défense des Français.
Justement, quels étaient les principaux axes de votre
campagne ?
J'ai tenu sur l'Europe un discours original qui n'était
pas celui d'un repli frileux sur la France, mais au contraire
d'une défense de la nation, de sa souveraineté et de son
identité dans le cadre d'un nouveau mode d'organisation
du continent, l'Europe des nations. Il s'agissait de réconcilier
l'attachement national et l'élan européen. C'était d'ailleurs
là tout le sens de l'intitulé de notre liste et de notre
slogan, "Européens d'accord, Français d'abord !"
Notre position consistait en effet à refuser les deux
conceptions extrémistes dans lesquelles on voulait enfermer
les électeurs. Il n'y avait pas d'un côté Maastricht et,
de l'autre, le refus pur et simple de l'Europe. D'ailleurs,
pour nous, l'Europe n'est pas une construction juridique,
mais une réalité immémoriale, une communauté de civilisation
qui détermine notre identité de Français et à laquelle
nous sommes fondamentalement attachés. Partant de là,
il convenait de montrer qu'il existait en quelque sorte
une troisième voie, entre le mondialisme et l'autarcie,
celle d'une organisation du continent respectueuse des
États et de leur indépendance. Il fallait donc s'opposer
à l'eurofédéralisme bruxellois au nom de l'Europe des
nations en formulant des propositions précises pour donner
corps à cette vision constructive.
Mais on vous a surtout entendu critiquer l'Europe de
Bruxelles !
Oui, mais je me suis aussi efforcé de mener une campagne
positive refusant les prophéties apocalyptiques complaisamment
diffusées par le FN selon lequel le traité d'Amsterdam
constituait la fin de notre pays, l'ultime combat après
quoi tout deviendrait vain. Au contraire, confiant dans
la pérennité de la France, j'ai rappelé que rien n'était
irréversible, qu'un traité pouvait être dénoncé et que,
demain, une nouvelle Europe respectueuse des nations pouvait
se substituer à l'entreprise mondialiste de Bruxelles.
D'ailleurs, avec mon dernier ouvrage intitulé La Nouvelle
Europe, notre mouvement était le seul à disposer d'un
projet alternatif à l'Europe de Maastricht, projet à la
fois complet et cohérent1. Aucune autre tête de liste
n'avait pris la peine d'accomplir ce travail pour ses
électeurs et, par là même, nous sommes en réalité les
seuls à avoir pleinement joué le jeu du débat européen.
Pour autant, vous n'avez pas manqué d'intervenir sur
des sujets fort éloignés de l'Europe comme l'insécurité,
l'immigration ou même la recomposition du paysage politique
français ?
Je ne pense pas que les problèmes d'immigration et d'insécurité
étaient hors sujet dans la campagne européenne. Je vous
rappelle en effet que les accords de Schengen prévoient
la suppression des contrôles aux frontières et donc une
grande facilité de circulation pour les trafiquants, les
clandestins ou les terroristes et que le traité d'Amsterdam
organise le transfert des politiques d'immigration de
l'échelon national au niveau européen.
De surcroît, j'ai toujours pensé qu'une élection constitue
pour le peuple une occasion privilégiée de prendre la
parole et d'exprimer ses craintes comme ses souhaits dans
tous les domaines de la vie quotidienne. Aussi ai-je considéré
comme tout à fait légitime de mettre à profit le scrutin
de juin 1999 pour inciter les Français à évoquer les graves
problèmes auxquels ils sont confrontés. La sécurité publique,
qui est l'une de leurs préoccupations principales, a donc
été au cœur de notre campagne. Et, là encore, nous nous
sommes montrés constructifs puisque nous avons présenté
"Cinquante mesures pour rétablir la sécurité des Français"
lors du premier meeting organisé après le congrès de Marignane,
le 18 février, salle Wagram à Paris. Ce soir-là, plus
de deux mille personnes se pressaient dans une salle prévue
pour en accueillir quinze cents, ce qui prouve combien
nos compatriotes se sentent concernés par cette question
que la classe politique ignore trop souvent.
Et, en termes de recomposition politique, quel était
votre message ?
Pour moi, il était clair que la crise du Front national
pouvait bouleverser l'ensemble du paysage politique de
la droite et ouvrir de nouvelles perspectives de grande
ampleur pour le Mouvement national républicain. La suite
des événements a d'ailleurs confirmé cette intuition :
se croyant libérée de la menace du FN, la droite parlementaire
a littéralement implosé alors que notre mouvement venait,
de son côté, de se dégager des dérives lepénistes qui
l'enfermaient dans un ghetto. Dès lors, se sont trouvées
réunies les conditions permettant l'émergence d'une force
de droite nationale dédiabolisée, capable de rassembler
l'ensemble de l'électorat qui se reconnaissait dans les
valeurs nationales et républicaines.
Or, pour opérer ce grand rassemblement, notre mouvement
est sans conteste le mieux placé, car il peut séduire
à la fois les uns et les autres. Le Pen, en raison de
ses provocations successives, est surdiabolisé et ne pourra
donc jamais attirer sur son nom les électeurs de Pasqua
et Villiers. Quant à ces derniers, ils ne seront jamais
en mesure de séduire les électeurs de l'ancien Front national
puisqu'ils refusent de prendre en compte la question capitale
de l'immigration. Nous sommes donc les seuls à être capables,
un jour, de rassembler les uns et les autres pour donner
naissance à la grande force de droite nationale et républicaine
à laquelle aspirent au fond d'eux-mêmes plus de 30 % des
Français. J'avais espéré que ce processus pourrait s'enclencher
dès les élections européennes. Malheureusement, il nous
a d'abord fallu payer le prix de la crise et cette grande
œuvre de rassemblement s'est de ce fait trouvée retardée.
Je considère cependant qu'elle reste plus que jamais d'actualité.
N'avez-vous pas le sentiment que ces thèmes de campagne
étaient trop abstraits pour susciter l'engouement d'une
large frange de l'électorat ?
Attention, cette perspective liée à la recomposition politique
ne constituait pas notre axe principal ! J'ai déjà évoqué
notre discours sur la sécurité, mais nous nous sommes
efforcés aussi d'aborder les principaux problèmes de la
vie quotidienne des Français. De plus, nous sommes allés
à la rencontre de nos compatriotes et notre campagne a
été extrêmement active sur le terrain. En effet, forts
de notre implantation, nous avons pu mener une multitude
d'actions de proximité dans la rue, sur les marchés, dans
les quartiers, à la sortie des usines.
Pour ma part, j'ai accompli un tour de France complet
en visitant un à un tous les départements métropolitains.
Mes principaux co-listiers ont eux aussi sillonné la France,
si bien qu'en trois mois nous avons tenu plus de cinq
cents réunions publiques à travers le pays. Au cours de
ces déplacements, nous avons cherché à nous faire les
défenseurs des Français face aux difficultés concrètes
qu'ils rencontrent. Ainsi, cinq grandes conventions régionales
ont été organisées, sur l'immigration, la sécurité, la
famille, la place des femmes dans la société et les questions
sociales. D'une façon générale, notre objectif était donc
d'enraciner notre campagne dans les préoccupations profondes
des Français et d'illustrer nos propositions par des symboles
forts.
Vous voulez parler du lancement de votre campagne depuis
le village de Camembert ?
Oui, le choix du village portant le nom du plus célèbre
de nos fromages illustrait parfaitement notre message.
En lançant notre campagne depuis Camembert, nous voulions
mettre les Français en garde contre l'Europe de Bruxelles
qui, à travers des atteintes à la souveraineté de notre
pays, s'attaque à l'identité même de la France2. En multipliant
les réglementations bureaucratiques et tatillonnes, elle
nivelle tout. Et, en l'occurrence, au moyen d'un texte
qui s'attaque aux produits fabriqués à base de lait cru,
elle menace de faire disparaître des dizaines de nos fromages,
dont le camembert traditionnel.
Bien sûr, cela pouvait faire sourire - et c'est d'ailleurs
très bien -, mais mon intention était de montrer que la
souveraineté nationale n'est pas seulement un grand principe,
c'est une question concrète qui intéresse notre vie quotidienne.
Car notre identité de Français ne tient pas uniquement
à des valeurs fondamentales mais aussi à des réalités
plus accessoires qui font précisément la saveur de notre
civilisation. En ce sens, je voulais que notre campagne
s'inscrive en pleine harmonie avec les aspirations de
nos compatriotes attachés à leurs terroirs, à leurs traditions,
à cette identité concrète qui est la nôtre. Beaucoup de
Français manifesteront d'ailleurs cette volonté de rester
fidèles à leurs racines en votant pour la liste des chasseurs.
Durant la campagne, avez-vous senti un changement d'attitude
des Français à votre égard ?
Oui, et c'est là, je crois, l'un des phénomènes les plus
intéressants de la campagne car j'ai senti que s'était
créé, entre nos compatriotes et nous, un fort courant
de sympathie. Et je ne parle pas là des militants ou des
adhérents, mais des Français rencontrés au hasard sur
les marchés ou dans les rues lors de mes nombreuses sorties
sur le terrain. L'intérêt, la curiosité et la cordialité
déclarée étaient beaucoup plus forts qu'à l'époque de
l'ancien FN. Ce phénomène a d'ailleurs été ressenti par
l'ensemble des dirigeants et des militants de notre mouvement
dans leurs villes respectives.
Et c'est cette sympathie nouvelle qui nous a fait espérer
jusqu'au bout un score nettement plus important que celui
que nous avons finalement obtenu. Et, même s'il ne s'est
pas traduit le 13 juin dans les urnes, cet élan nouveau
de sympathie reste à mes yeux une donnée politique majeure.
Il signifie en effet que nous nous situons dans un environnement
électoral plus favorable qu'auparavant. Parce qu'il était
très récent sur la scène politique, notre mouvement n'a
pas suscité aux européennes autant d'adhésions qu'il l'espérait.
Mais il n'a pas non plus provoqué de rejet massif. Son
potentiel de développement est donc supérieur à celui
de l'ancien Front national.
A vous écouter, on en vient presque à se demander ce
qui n'a pas fonctionné. Si votre campagne n'est pas en
cause, comment alors expliquer votre score ?
Je crois que le paradoxe que vous soulevez n'est qu'apparent.
Il y a en effet des circonstances dans lesquelles vous
pouvez faire la meilleure campagne qui soit, développer
les arguments rationnels et affectifs les plus efficaces,
vous placer en pleine harmonie avec les aspirations de
votre électorat potentiel et pourtant ne pas obtenir de
bons résultats. Tout simplement parce que la situation
n'est pas mûre. En la circonstance, je crois que c'est
ce qui nous est arrivé. Oh ! je ne dis pas que tout a
été parfait dans notre campagne. Sans doute tel ou tel
aspect de la bataille aurait pu être mené différemment.
Mais je pense que, quoi que nous ayons fait, le score
n'aurait pas été différent.
Nos électeurs n'étaient pas prêts à nous écouter et à
nous découvrir. La crise du Front national était encore
trop proche et ils jugeaient cette crise inadmissible.
Si bien que le 13 juin, 58 % d'entre eux ne se sont pas
rendus aux urnes, sans compter ceux qui ont voté blanc
et ceux qui ont mis dans l'urne un bulletin "chasseur".
Dès lors, le score total des deux listes Mégret et Le
Pen ne pouvait qu'être inférieur à 10 % et placer automatiquement
l'une des deux en dessous du chiffre fatidique de 5 %.
Dans ce contexte, il était normal que ce soit la mienne
qui ne passe pas cette barre, car Le Pen avait tous les
atouts pour lui : la légalité apparente, le sigle, le
logo, l'argent et l'habitude qu'avaient les électeurs
de voter sur son nom. A posteriori, notre résultat s'explique
donc clairement : les sympathisants de l'ancien FN n'ont
pas compris ni accepté la crise et ils se sont détournés
provisoirement de nous pour la sanctionner.
Pourtant, vous avez essayé de leur expliquer les raisons
de cette crise. Comment se fait-il que vous n'ayez pas
été entendu ?
Les phénomènes politiques sont malheureusement extrêmement
longs à se mettre en place et à produire leurs effets.
L'opinion réagit toujours avec un temps de latence considérable
et, comme je le craignais, l'élection européenne est venue
trop vite. De surcroît, la liste que je menais a été pénalisée
par deux événements inattendus : la guerre du Kosovo et
l'explosion soudaine du RPR, événements qui ont totalement
occulté notre campagne.
La guerre du Kosovo n'était-elle pas pour vous une
occasion de marquer votre différence ?
Il est vrai, que sur cette question, mon opinion divergeait
de celle de l'établissement. Je trouvais en effet scandaleux
que les Américains s'arrogent le droit de bombarder un
État indépendant au prétexte qu'il refusait d'accorder
son autonomie à l'une de ses provinces. J'estimais de
plus qu'il était humiliant pour la France et contraire
à ses intérêts de s'engager servilement aux côtés des
États-Unis dans cette guerre injuste. Et, d'une certaine
façon, il n'y avait pas là de décalage avec notre campagne
européenne, puisque le projet d'Europe des nations que
je défendais réclamait précisément l'indépendance de la
France et de l'Europe par rapport aux États-Unis3. Mais,
en cette période de guerre, notre voix a été noyée sous
les flots de la propagande qui, tous les soirs, venait
chanter à la télévision les louanges de Clinton et conforter
les positions dociles de Chirac et Jospin.
Le grand public a aussi été surpris de voir combien
vos positions étaient proches de celles du FN. Est-ce
exact ?
Il est vrai que Le Pen a condamné, comme moi, l'intervention
américaine. Mais, il a, quant à lui, pris ouvertement
parti pour le régime serbe en soutenant les alliés d'alors
de M. Milosevic, comme M. Vojislav Seselj, président du
Parti radical serbe. Or, pour ma part, j'ai toujours refusé
de soutenir Milosevic dont je n'ai cessé de rappeler qu'il
était un pur produit de l'ancien système communiste et
j'ai clairement indiqué que nous condamnions les exactions
qui avaient pu être commises par son régime.
Mais cette différence de position, aussi importante soit-elle,
a été passée par pertes et profits. Car, dans cette période
de guerre, on n'entendait que la grosse artillerie de
la propagande de l'Otan et notre campagne européenne s'en
est trouvée totalement occultée. Le même phénomène s'est
reproduit ensuite avec la démission spectaculaire de M.
Séguin et la crise qui en a découlé au RPR.
Mais expliquez-moi en quoi l'explosion du RPR vous
a pénalisé ? Ne s'agissait-il pas plutôt d'une bonne nouvelle
pour vous ?
Il est vrai que l'explosion en plein vol de la liste du
RPR à la suite de la double démission de M. Séguin n'était
pas en soi une mauvaise nouvelle pour nous. Cette désagrégation
du parti gaulliste validait mon intuition quant à la recomposition
à venir de la droite. Et j'avais là la confirmation que
la scission du Front national avait bien provoqué, par
répercussion, une déstabilisation en profondeur de l'ensemble
du système RPR-UDF-DL.
Mais, aussi positif soit-il sur le long terme, cet événement
était pour nous négatif dans l'immédiat. La démission
de Séguin et son remplacement par Sarkozy ont en effet
dopé la liste conduite par Pasqua et Villiers. L'attention
médiatique s'est alors polarisée sur la rivalité entre
Pasqua et Sarkozy et ce duel interne au RPR a rejeté la
crise du FN à l'arrière-plan de l'actualité. Pis, alors
même que notre mouvement s'affirmait comme un tout nouvel
acteur sur la scène publique, il s'est trouvé pris en
tenaille entre Pasqua et Le Pen, deux vieux routiers de
la politique. Il en est résulté pour nous un très grave
dommage électoral.
Cette tenaille était d'autant plus redoutable qu'une
série de sondages soulignait votre difficulté à émerger
?
Il est vrai que, pendant toute cette campagne, nous avons
dû subir des sondages nous plaçant systématiquement en
dessous de la barre des 5 %. Ces enquêtes d'opinion ont
ainsi introduit dans les esprits l'idée que la liste Mégret,
quels que soient ses mérites, était hors jeu. Beaucoup
d'électeurs, partageant nos idées mais souhaitant voter
utile, se sont dès lors détournés de notre liste. Ces
sondages nous ont donc causé un grand tort, d'autant qu'ils
ont été largement orchestrés par les médias qui ne cessaient
de m'interpeller à propos de ces enquêtes comme si la
partie était déjà jouée.
Et je dois dire qu'il y a quelque chose de profondément
malsain et même d'antidémocratique dans ces sondages qui
tendent à se substituer au vote des Français et à présenter
comme acquise une élection qui n'a pas encore eu lieu.
D'ailleurs, tous les politologues le savent : les sondages
ne servent pas seulement à décrire l'opinion, mais aussi
à l'orienter. C'est pourquoi je n'ai pas été étonné de
constater combien, à l'inverse, les sondages avaient dopé
Le Pen, en le donnant autour de 10 % des intentions de
vote à quelques jours du scrutin quand il n'a fait en
définitive que 5,5 %. Alors que l'établissement cherchait
à nous marginaliser, il s'efforçait par tous les moyens
de soutenir Le Pen.
Pourtant, ce soutien n'a visiblement pas suffi puisque
la liste Le Pen a vu son score divisé par deux par rapport
à 1994.
La médiocrité du score de Le Pen doit en effet être mesurée
au regard des atouts considérables dont il a bénéficié
de son côté puisque, grâce au soutien des socialistes,
il a été déclaré du jour au lendemain seul habilité à
incarner le Front national et à en utiliser le nom et
le logo. Quant à nous, nous avons été contraints de retirer
de la circulation tous nos documents de campagne comportant
ces éléments d'identification. A quelques semaines du
vote, nous avons dû changer de nom et passer de FN-MN
à Mouvement national, ce qui nous a considérablement pénalisés.
En outre, Le Pen s'est vu attribuer la totalité de la
subvention publique de 41 millions de francs. Si vous
ajoutez à cela l'habitude qu'avaient nos électeurs de
voter pour lui, vous mesurez alors à quel point il disposait
de tous les atouts pour réaliser un bon score.
Son piètre résultat reflète donc un échec politique. Échec
de première grandeur que nous n'avons pas subi pour notre
part malgré un score inférieur. En effet, on comprend
bien pourquoi les électeurs n'ont pas encore voté pour
nous, mais on ne voit pas pourquoi les Français qui n'ont
pas voté Le Pen cette fois-ci lui accorderaient leurs
suffrages lors des prochaines échéances. Dans cette élection,
il jouissait de tous les avantages quand nous cumulions
tous les handicaps. Or, dans l'avenir, cette situation
va s'inverser. Et, j'en suis convaincu, nous allons nous
imposer tant par rapport à Le Pen que par rapport à Pasqua
et Villiers.
Justement, par rapport au tandem Pasqua-Villiers, quelle
était votre "valeur ajoutée" ?
MM. Pasqua et de Villiers disposaient dans cette campagne
d'un argument de poids : leur volonté affichée de défendre
la souveraineté de la France face à Bruxelles. Mais ils
souffraient aussi d'une très grave faiblesse, car, pour
eux, la France n'est qu'un édifice institutionnel. Ils
défendent la souveraineté française mais ils font une
impasse totale sur son identité. Ils dénoncent le péril
de l'Europe de Maastricht, mais ils ignorent celui de
l'immigration. S'agissant de Pasqua, c'est même encore
plus inquiétant puisqu'il est allé jusqu'à se déclarer
favorable à la régularisation générale de tous les étrangers
clandestins présents en France4, ce qui le place, sur
la question de l'immigration, à gauche de Jospin.
Or, nous, nous pensons que la défense de la souveraineté
et de l'indépendance de la France est indissociable du
combat pour le maintien de son identité. Aussi nous considérons
qu'il est vain de défendre les prérogatives souveraines
de notre pays si, dans le même temps, on le laisse envahir
par une immigration massive venue d'autres continents.
La France pour nous ne se résume pas à un édifice institutionnel,
c'est d'abord et avant tout un peuple sur une terre, doté
d'une culture et pétri par l'histoire. Refuser de voir
cette réalité, c'est ne rien comprendre à l'âme de notre
nation et se condamner à ne jamais pouvoir lui donner
l'élan d'une nouvelle renaissance.
C'est la raison pour laquelle on vous a vu, de Flers
à Strasbourg, pourfendre l'islamisation de la France ?
Oui, j'ai voulu pendant cette campagne montrer, par un
certain nombre de déplacements symboliques, l'opposition
résolue de notre mouvement à l'islamisation de la France.
A Flers5, j'ai apporté mon soutien aux enseignants qui
refusaient le port du tchador dans leur établissement.
Car mettre un voile islamique à l'école, c'est bafouer
la tradition républicaine de neutralité de l'enseignement
public. Et, si on renonce à faire appliquer cette règle
pour s'adapter aux coutumes des populations immigrées,
cela veut dire que l'on accepte non seulement qu'elles
s'installent sur notre sol, mais, en plus, qu'elles imposent
leurs normes de civilisation. En un mot, cela signifie
que l'on se soumet à une colonisation à rebours et, cela,
nous le rejetons catégoriquement.
Dans le même esprit, je me suis rendu à la mairie de Strasbourg6
pour manifester, avec Gérard Freulet et nos élus alsaciens,
notre opposition à la construction d'une mosquée-cathédrale,
car, là encore, il y a une tentative d'islamisation de
notre pays.
Est-ce à dire que vous voulez empêcher les musulmans
de pratiquer leur religion ?
Je n'ai jamais dit cela. Notre mouvement est, bien sûr,
très attaché à la liberté religieuse qui constitue une
liberté fondamentale. Quant aux musulmans présents en
France, ils disposent déjà de nombreux lieux de culte.
Ce qui est en cause, c'est la construction de mosquées
monumentales marquant notre paysage des signes tangibles
d'une civilisation qui n'est pas la nôtre. Car il faut
bien comprendre que le problème de l'islamisation de notre
pays n'est pas d'abord de nature religieuse, c'est avant
tout une question d'identité.
La république n'est pas confessionnelle ni multiconfessionnelle,
elle est neutre. Quant à la France, elle est constituée,
comme le disait le général De Gaulle, d'"un peuple européen
de race blanche, de culture grecque et latine et de religion
chrétienne7". Croyant ou non, nul ne peut nier le caractère
chrétien et européen de l'identité française, une identité
forgée par des millénaires de civilisation. C'est cela
que nous entendons défendre face à une autre civilisation
qui, en tant que telle, mérite notre respect, mais dont
nous voulons qu'elle continue de s'épanouir en terre d'islam.
L'immigration est donc restée l'un de vos axes majeurs
?
Tout à fait, car beaucoup de nos compatriotes souffrent
cruellement de cette politique absurde qui conduit à en
faire des étrangers dans leur propre pays. Aussi, pendant
la campagne européenne, j'ai cherché à apporter mon soutien
aux Français victimes de l'immigration. Je me suis rendu
par exemple à Vauvert8, petite ville du Gard impunément
mise à sac par plusieurs nuits d'émeutes. Les habitants
de cette bourgade avaient le sentiment d'être complètement
abandonnés par les pouvoirs publics qui semblaient impuissants
ou indifférents face à leur malheur. Aucune personnalité
politique n'était venue les soutenir et surtout pas M.
Chevènement. Le ministre de l'Intérieur s'était même permis
de leur faire la leçon en déclarant que "la guerre d'Algérie
était finie". Or, si personne ne conteste que la guerre
d'Algérie soit finie, nous considérons quant à nous que
le rôle d'un ministre de l'Intérieur est précisément d'empêcher
qu'elle ne recommence aujourd'hui sur le territoire national.
Est-ce qu'en prenant de telles positions, vous n'avez
pas dérouté de nombreux électeurs qui pensaient que vous
alliez vous montrer plus modéré sur ces sujets ?
Je ne crois pas que les Français attendent de moi que
je batte en retraite sur l'immigration ou l'insécurité.
Je pense au contraire que nos compatriotes souhaitent
qu'un homme politique ait enfin la lucidité de prendre
la mesure de ces problèmes et le courage de les traiter
avec humanité mais fermeté. Voilà pourquoi, je le dis
clairement, il n'est pas question pour moi de céder sur
les questions de l'immigration et de la sécurité.
A ce sujet, nos adhérents, nos sympathisants, nos électeurs,
tous ont pu constater combien les accusations de trahison
proférées par Le Pen étaient fausses. Lui et les siens
prétendaient que nous allions renoncer à nos valeurs pour
nous faire bien voir des puissants. Or, c'est lui, Le
Pen, qui, selon ses propres dires, a constitué une liste
"représentative de la France d'aujourd'hui avec des personnes
issues de l'immigration9". C'est lui qui a déclaré que
"la France était désormais un pays multiconfessionnel10".
D'une façon plus générale, Le Pen prétendait que nous
avions le soutien des partis du système pour casser le
Front national. C'est lui qui a bénéficié du soutien éhonté
de l'établissement pour, aujourd'hui, brader notre programme.
Quand vous accusez Jean-Marie Le Pen d'être soutenu
par l'établissement, est-ce que vous ne reprenez pas à
votre compte l'obsession du complot ?
Mais le soutien de l'établissement à Le Pen n'est plus
un secret. Les socialistes eux-mêmes n'en font pas mystère.
Ainsi, pour comprendre le véritable sens de l'invalidation
de notre congrès de Marignane et le versement des 41 millions
de subvention publique au Front national, le mieux est
de lire la presse de gauche. L'hebdomadaire Marianne dirigé
par Jean-François Kahn confirmait ainsi, au lendemain
de l'élection, que c'était bien "pour aider Le Pen à faire
campagne" que "le pouvoir socialiste a décidé de verser
les 41 millions au FN11".
Et l'Événement du 17 juin de renchérir sous la plume de
Guy Konopnicki : "Cette confirmation du droit de Jean-Marie
Le Pen, en pleine campagne électorale, sent le coup de
pouce. La gauche plurielle ne veut pas que le FN disparaisse."
Et pourquoi ? Parce qu'en "version Mégret, le FN serait,
comme nous n'avons cessé de l'écrire, plus dangereux12".
Vous voyez, la connivence entre Le Pen et les socialistes
n'est pas un fantasme "mégrétiste". Elle est un fait reconnu,
admis et même revendiqué puisque, dans un éditorial désormais
célèbre, Serge July l'avait érigée en véritable mot d'ordre
: "ll faut", déclarait-il sans ambages, "garder Le Pen
précieusement13".
Sur le fond, pourquoi estimez-vous injuste que Jean-Marie
Le Pen bénéficie de cette subvention de 41 millions de
francs ?
Cette décision était injuste à plus d'un titre. D'abord
parce qu'elle s'appuyait sur l'invalidation du congrès
de Marignane qui était frappée d'appel. Avant d'attribuer
cette subvention, le gouvernement aurait donc dû attendre
le résultat du jugement définitif. D'autre part, elle
ne tenait pas compte de la réalité de la situation marquée
par l'éclatement de l'ancien FN en deux mouvements. Or,
cette subvention de 41 millions de francs est calculée
par l'État au prorata des voix obtenues par les candidats
aux élections législatives. Et, sur les 570 candidats
FN qui se sont présentés à l'élection de 1997, près de
60 % d'entre eux ont rejoint notre mouvement. L'équité
et la logique voulaient donc que cette nouvelle donne
se traduise par une nouvelle répartition. Mais le Premier
ministre n'en a pas voulu ainsi. Il a préféré attribuer
l'intégralité de la dotation à Le Pen. Ainsi, grâce à
la décision de Jospin, Le Pen pourra demain se retrouver
tout seul et continuer à percevoir sa dotation.
A l'inverse, les moyens financiers ainsi attribués
à Jean-Marie Le Pen vous faisaient totalement défaut.
Comment avez-vous financé votre campagne ?
La recherche de moyens financiers a été l'un de mes soucis
principaux. Car, si l'État rembourse les frais de campagne,
il ne le fait qu'a posteriori et à condition d'avoir obtenu
plus de 5 % des suffrages. Nous devions donc dans tous
les cas trouver par avance les sommes nécessaires à notre
campagne. Je me suis donc tourné vers les seules personnes
susceptibles de nous aider : les adhérents, les sympathisants
et surtout les élus. Ainsi, chacun des conseillers régionaux
a été sollicité pour un prêt de 100 000 francs. Il était
entendu que cette somme leur serait reversée si notre
liste faisait plus de 5 % et que, dans l'hypothèse inverse,
ils devraient se rembourser sur la cotisation mensuelle
qu'ils versent au mouvement. Chacun a fait son devoir
dans la mesure de ses possibilités et notre trésorier
a pu ainsi collecter suffisamment de moyens pour engager
toutes les dépenses nécessaires à la bataille des européennes.
Bien que très active, notre campagne a cependant été d'un
coût modeste puisque nos dépenses n'ont pas dépassé 12,8
millions de francs, auxquels il faut ajouter plus de 8
millions de francs pour la campagne officielle, c'est-à-dire
pour l'impression des bulletins de vote, de la profession
de foi et de l'affiche officielle. Il faut noter que ces
12,8 millions de francs correspondent à une campagne très
raisonnable, car le maximum autorisé est de 60 millions
de francs et la plupart des partis ont dépensé plus de
30 millions. Ainsi le budget déclaré de la liste Le Pen
dépasse les 36 millions de francs, soit trois fois le
montant de nos propres dépenses.
Malheureusement, notre liste n'ayant pas franchi la barre
des 5 %, nous n'avons pas pu bénéficier du remboursement
par l'État. Dès lors, il est apparu un déficit non négligeable
de 7 millions de francs. Et, là encore, c'est grâce au
formidable sursaut de nos militants et de nos sympathisants
que nous avons pu faire face à cette épreuve. J'ai en
effet été amené à lancer deux souscriptions en juillet
et en septembre pour faire appel à leur soutien. La réponse
a été exceptionnelle et m'a d'ailleurs beaucoup touché
car c'est un grand courant de générosité, venant de personnes
aux revenus parfois très modestes, qui s'est ainsi manifesté.
Dès lors, nous avons pu échapper au pire et maîtriser
nos difficultés financières. Force est de constater que
nous sommes là bien loin du fantasme lepéniste selon lequel
notre mouvement aurait été soutenu à coups de millions
par l'Élysée, le Mossad ou la CIA...
Au regard de toutes ces difficultés, est-ce que vous
ne regrettez pas la scission ? Un Front montant uni à
la bataille n'aurait-il pas été en mesure de réussir une
percée politique historique ?
Il est en effet possible qu'une liste dirigée par un tandem
Le Pen-Mégret aurait obtenu un résultat supérieur à l'addition
des scores du FN et du Mouvement national. Cependant,
je ne saurais avoir aucun regret. Car, comme je l'ai dit,
c'est Le Pen qui a refusé cette formule au profit d'un
duo Le Pen-De Gaulle. C'est donc bien Le Pen, et Le Pen
seul, qui a voulu et organisé la rupture du FN et causé
ainsi sa régression électorale.
Il faut d'ailleurs en être bien conscient, les circonstances
de l'élection auraient été très différentes si le Front
national n'avait pas connu de scission. L'attitude de
l'établissement, lequel a tant soutenu Le Pen lors de
cette crise, aurait été tout autre. Au lieu d'apporter
leur appui au président du FN, le gouvernement socialiste
et les médias de gauche auraient cherché à le pénaliser
et auraient poursuivi leur action de diabolisation à son
encontre. Car, il ne faut pas se méprendre, le système
n'a soutenu Le Pen que pour tenter de me neutraliser et
de détruire notre mouvement. S'il était resté électoralement
menaçant, Le Pen aurait été placé en ligne de mire.
Ainsi, durant la campagne, deux événements ont été très
curieusement passés sous silence. Le premier, c'est la
condamnation de Le Pen pour le détail de Munich. Le second,
c'est la mise en détention provisoire pendant plusieurs
semaines du propre ex-gendre de Le Pen dans une affaire
de corruption à propos du marché des cantines scolaires
de Toulon14. Si le FN avait représenté un danger, vous
pensez bien que ces deux affaires auraient fait la une
des journaux et auraient été utilisées à fond dans la
campagne électorale. Dans ces conditions, je doute fort
qu'un FN uni ait pu faire un bon score. Car la crise n'était
pas fortuite. Elle est précisément survenue parce que
le Front national lepéniste entrait alors en régression.
Quel bilan tirez-vous de cette élection européenne
? S'agit-il alors d'un coup pour rien ?
Non, je ne crois pas que notre mouvement se soit dépensé
en vain dans cette campagne. Certes, elle a été difficile
et les résultats ont été décevants, mais, a posteriori,
elle apparaît comme une épreuve nécessaire pour sortir
définitivement de la crise. Maintenant, celle-ci est derrière
nous et cette campagne électorale nous aura permis de
souder les cadres et les militants du nouveau mouvement
que nous construisons. A l'issu de ce scrutin, le FN moderne
et responsable qui était le nôtre se sera détaché de celui,
archaïque et malsain, que Le Pen avait fini par incarner,
laissant derrière lui un certain nombre de comportements
et de pratiques que nous ne pouvions plus tolérer.
Et maintenant, nous sommes libres d'agir dans le seul
intérêt de nos idées et de notre pays. Alors oui, cette
dernière épreuve a été elle aussi douloureuse. Mais elle
nous permet maintenant de nous tourner sereinement vers
l'avenir pour accomplir la tâche qui est la nôtre, c'est-à-dire
la construction de la grande force de droite nationale
et républicaine dont la France a besoin.
Le score que vous avez obtenu constitue-t-il une base
de départ suffisante pour vous projeter avec confiance
dans l'avenir ?
Je vous l'ai déjà dit, ce score traduit seulement la volonté
des électeurs de l'ancien FN de sanctionner la crise.
Il ne mesure donc pas le poids électoral qui est le nôtre
car, à l'époque de l'élection européenne, les Français
ne connaissaient pas notre mouvement. Ce score porte sur
une période désormais révolue.
Cela dit, il est vrai que nous prenons un nouveau départ,
mais la base sur laquelle je m'appuie pour repartir n'est
pas celle de nos résultats aux européennes. Elle est constituée
par tous ces Français qui nous ont suivis, soutenus, approuvés.
Tous ces Français qui ont compris qu'en ces temps difficiles
où l'on s'attaque aux piliers de notre société, où les
valeurs qui leur sont le plus chères, comme la nation
et la famille, sont bafouées et niées, seul notre mouvement,
loin des ambiguïtés politiciennes, est capable de réconcilier
les idées nationales et républicaines et d'engager la
renaissance de la France.
NOTES
1. La Nouvelle Europe. Pour la France et l'Europe des
nations, Éditions nationales, septembre 1998.
2. Cette manifestation s'est déroulée le 13 mars 1999.
3. Quelque mille personnes ont assisté le 15 avril 1999
au meeting organisé à Paris sur le thème "Clinton, touche
pas à l'Europe".
4. Le Monde, 17 juillet 1998.
5. Le 8 janvier 1999.
6. Le 12 avril 1999.
7. Propos de Charles De Gaulle rapporté par Alain Peyrefitte
in C'était De Gaulle, Éditions de Fallois/Fayard, Paris,
1994, p. 52.
8. Le 18 mai 1999.
9. Interview à Sud-Ouest, 6 mars 1999.
10. Grand Jury RTL-le Monde-LCI, 6 juin 1999.
11. Marianne, 14 juin 1999.
12. L'Événement, 17 juin 1999.
13. Libération, 20 novembre 1998.
14. C'est le 22 avril 1999 que M. Gendron a été mis en
examen et écroué.
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