L'agriculture n'est pas condamnée a disparaître.
Loin être une activité ringarde et dépassée, elle
demeure, en cette fin de millénaire, un atout économique
d'envergure, une nécessite pour l'harmonie du territoire
et équilibré de l'environnement. Enjeu stratégique
majeur, l'arme alimentaire représente même aujourd'hui
un instrument de puissance pour celui qui la possède.
Aussi est-il étonnant de voir l'Europe bruxelloise
organiser progressivement le déclin du monde rural,
comme si les paysans incarnaient une survivance
inutile du passe et que leur activité pénalisât
le système de production et d'échange. Prenant le
contre-pied de cette vision malthusienne, la nouvelle
Europe engagera donc, au service des peuples du
continent, une grande politique de renouveau de
l'agriculture française et européenne.
Bouseux, rustre et campagnard
Aujourd'hui, tout se passe en effet comme si le
monde paysan constituait une charge pour la société.
Chaque fois qu'il est question de l'agriculture
dans les débats publics, c'est pour dénoncer les
subventions qu'elle reçoit, les surproductions qu'elle
secrète, voire les manifestations qu'elle provoque,
et pour stigmatiser le coût financier qui en résulte
pour les Français. Quant aux initiatives prises
par la Commission bruxelloise, elles semblent toutes
converger vers un même objectif consistant a réduire
l'importance du monde agricole pour réaliser des
économies budgétaires. Aussi entend-on parler de
gel des terres, de mise en jachère, de quotas de
production, de primes a l'arrachage, comme s'il
fallait a toute force limiter, supprimer, contingenter.
L'agriculture serait en quelque sorte un secteur
archaïque qu'il conviendrait de faire disparaître,
la vie moderne ne pouvant exister que dans les grandes
conurbations, pour ne se consacrer qu'a l'industrie
et aux services. Tout ce qui est rural, paysan,
agricole serait bouseux, rustre, campagnard, et
le progrès devrait conduire a la disparition de
cette coûteuse survivance du passe.
La réalité ne correspond cependant pas a cette vision
caricaturale, car le monde rural joue dans la société
un rôle irremplaçable qu'il serait éminemment dangereux
de vouloir supprimer. Il assume en effet trois fonctions
majeures qu'aucun autre corps social ne peut exercer
a sa place.
L'autosuffisance alimentaire
La première est évidemment d'ordre économique, puisque
c'est l'agriculture qui produit les denrées nécessaires
a l'alimentation de la population. Une vérité élémentaire
qui ne doit pas être sous-estimée car les nations
qui ne disposent pas des moyens de nourrir leur
population souffrent d'un handicap majeur. C'est
le problème des pays sous-développés du tiers monde
qui subissent des phénomènes de disette ou de malnutrition,
mais celui aussi des pays plus riches dépourvus
de paysans qui, obliges d'importer leurs aliments,
se trouvent en situation de dépendance pour la survie
même de leur peuple.
En tant activité économique, l'agriculture revêt
donc une utilité majeure, puisque non seulement
elle permet a la nation d'assurer son autosuffisance
alimentaire, mais qu'elle lui offre, grâce aux exportations
agricoles, une arme stratégique sur la scène internationale.
De ce point de vue, la France dispose, avec son
agriculture, d'un atout essentiel, car celle-ci
possède une capacité de production suffisante pour
garantir presque intégralement indépendance alimentaire
de notre pays et pour rendre largement positive
sa balance commerciale en produits agro-alimentaires.
Ni obsolète ni secondaire, l'agriculture, comme
secteur de production, représente au contraire un
point fort de économie nationale, indispensable
dans la compétition mondiale.
Les jardiniers de la nature
A cote de sa fonction purement économique, le monde
rural remplit une mission écologique majeure. En
effet, dans notre pays comme dans la plupart des
pays européens, la nature est loin être vierge,
car, si les paysages qui nous sont familiers sont
le produit des phénomènes biologiques, botaniques
ou géologiques, ils sont aussi le fruit du travail
des hommes. Profondément marquée par la présence
humaine, notre terre a été façonnée, au fil des
siècles et des millénaires écoulés, par le labeur
et la peine de nos ancêtres. Et cette sueur, parfois
ce sang qu'ils ont verse, ont tellement imprégné
nos terroirs qu'il n'est pas un coteau, un vallon,
une corne de bois qui ne porte un nom. Aussi la
nature en France est-elle profondément humaine,
comme en totale harmonie avec le peuple qui la travaille
depuis des siècles. C'est pourquoi cette présence
doit impérativement être maintenue, car, sans elle,
l'ensemble des équilibres écologiques se trouverait
gravement compromis et les paysages de France profondément
altères. Le monde paysan joue donc ce rôle essentiel
de jardinier de la nature sans lequel il n'y aurait
plus de nature ni en France ni en Europe.
Pour équilibré de la nation
Enfin, le monde rural assure aussi une fonction
psychologique irremplaçable au sein de nos sociétés,
car une nation c'est d'abord un peuple sur une terre
et ce sont précisément les paysans qui font le lien
entre l'un et l'autre. C'est par l'intermédiaire
de la population rurale que notre société reste
enracinée dans ses terroirs et fait perdurer un
ensemble de valeurs qui, pour être propres a la
ruralité, n'en sont pas moins nécessaires a notre
pays dans son entier. Bon sens, esprit de mesure,
prudence, sens de la famille et de la parole donnée,
notion de la pérennité, c'est la société agricole
qui a de tout temps incarne ces vertus. Mais si
le monde paysan venait a disparaître, ou notre nation
puiserait-elle ces qualités de pondération et de
stabilité sans lesquelles on verrait se rompre son
équilibré psychologique ? Que se passerait-il en
effet si demain notre pays se réduisait a sa seule
composante urbaine ? Quand on connaît les problèmes
spécifiques qu'engendrent les villes, ceux lies
aux phénomènes de masse, de mode ou de stress, ceux
qui procèdent du déracinement et du cosmopolitisme,
de la perte des valeurs et des repères, on mesure
combien la dimension rurale de notre nation est
nécessaire. Tel un arbre coupe de ses racines, notre
peuple se trouverait profondément déstabilise et
désorienté si les campagnes se vidaient de leurs
habitants et retournaient a la nature sauvage.
Et comment ignorer de surcroît que notre nation
a besoin de conserver un lien avec son passe, un
passe issu d'une civilisation a l'origine rurale
et sédentaire fondée sur la culture de la terre
et qui nous a transmis un art de vivre, des goûts
et des usages, bref des traditions dont nous nous
nourrissons encore aujourd'hui ? Couper la France
de ses campagnes, ce serait aussi la couper de son
passe.
Une paysannerie moderne
Le paysan, homme du pays, comme nous le rappelle
l'étymologie, n'a donc pas pour seule fonction de
fournir des moyens de subsistance a ses compatriotes.
Il établit aussi entre eux et la terre un lien vivant
et irremplaçable. Dans un monde en perpétuelle évolution,
il représente un facteur de stabilité et équilibré,
comme de pérennité et de tradition.
Certes, il ne s'agit pas de cultiver la nostalgie
de la société agraire et de prôner un quelconque
retour a la nature. Le geste auguste du semeur procède
d'une autre époque a jamais révolue, car les progrès
des sciences et de la technologie concernent aussi
le monde rural. Il n'est pas question non plus d'ignorer
les processus de développement des civilisations
qui, a toutes les époques, ont conduit les hommes
a s'éloigner des campagnes et a se concentrer dans
les villes.
Il faut simplement comprendre que la France de demain
doit, pour sa sécurité alimentaire, son équilibré
écologique et sa santé psychique, conserver une
agriculture et une paysannerie moderne et efficace
ainsi que des campagnes vivantes adaptées au monde
moderne.
L'involution agricole
Tel n'est malheureusement pas le chemin suivi par
l'Europe bruxelloise, qui entraîne, depuis quelque
temps, l'agriculture française et européenne dans
un processus d'involution susceptible de provoquer
la disparition pure et simple du monde rural et
paysan. En quarante ans, la population active agricole
a été divisée par cinq, si bien que moins d'un million
de personnes travaillent désormais a temps plein
dans ce secteur. Le nombre d'exploitations est tombe
en dessous de sept cent mille et près d'une centaine
d'entre elles disparaissent chaque jour. Pour cinquante
mille départs annuels, on compte moins de huit mille
installations de jeunes agriculteurs, et comment
d'ailleurs en serait-il autrement quand le niveau
de vie des paysans n'a pas cru au même rythme que
celui des autres Français et que 38 p. cent d'entre
eux vivent avec un revenu inférieur au Smic ?
Le pire est que la France et l'Europe ont dans le
même temps perdu leur indépendance alimentaire.
Au nom du libre-échangisme mondial, qui recherche
systématiquement l'interdépendance des nations,
les technocrates de Bruxelles ont sacrifie l'autosuffisance
alimentaire du continent. Ainsi, par exemple, la
France, premier producteur agricole européen, importe
désormais 38 p. cent de ses besoins en viande de
mouton. Et les chiffres de sa dépendance s'établissent
pour les autres produits a des niveaux analogues
: 20 p. cent pour le porc, 12 p. cent pour les légumes
et 80 p. cent pour le lapin, etc. Sans parler du
lait qu'elle doit importer alors que sa propre production
se trouve bloquée par des quotas. Quant au bétail
européen, il ne se nourrit plus de produits continentaux,
mais de tourteaux de soja et de gluten de mais américain,
de manioc thaïlandais ou de patates douces chinoises,
alors qu'il pourrait parfaitement absorber des céréales
ou des oléo-protéagineux français.
La PAC pervertie
Cette situation absurde, qui voit les producteurs
nationaux disparaître pendant que les importations
étrangères augmentent, résulte d'une Politique agricole
commune (PAC) qui s'est progressivement dégradée
a mesure que l'Europe bruxelloise s'alignait sur
les conceptions mondialistes américaines. Ainsi,
après avoir servi les intérêts français et continentaux,
les mécanismes agricoles européens ont-ils été peu
a peu pervertis par le libre-échangisme le plus
débride. Sous la pression de la Commission, des
accords de libre-échange ont ainsi été multiplies
avec des Etats ou des groupes
d'Etats, comme ceux d'Amérique latine, l'Afrique
du Sud ou les nations du bassin méditerranéen, ce
qui a permis a tous ces pays d'écouler leurs productions
sur les marches communautaires au grand dam des
agriculteurs européens.
Cette évolution malsaine a connu son premier aboutissement
en juin 1992, lors de la reforme de la PAC. Ce jour-là,
les ministres de l'Agriculture de la Communauté
ont abandonne le système du soutien aux productions,
clef de voûte de la politique européenne pendant
trente ans, pour adopter un mécanisme d'aide aux
producteurs, comparable a celui pratique par les
Américains. Ce faisant, ils ont aussitôt engage
un processus de baisse des prix, baisse compensée
par des subventions directes aux agriculteurs. Subventions
régionalisées, calculées a l'hectare ou a la tête
de bétail et versées sous réserve de la mise en
jachère d'une partie des terres.
La trahison de Blair House
En novembre 1992, avec la signature du pré-accord
agricole de Blair House, un second événement est
venu accentuer cette évolution malsaine. Alors que
les autorités de Bruxelles avaient toujours réussi
a maintenir l'agriculture en dehors des procédures
de libéralisation des échanges internationaux organisées
par le GATT, elles ont finalement accepte d'en discuter
dans le cadre du cycle de l'Uruguay et ont fait
des lors aux Américains des concessions majeures
préjudiciables a l'agriculture européenne.
Ainsi, dans le cadre de ces accords, la Commission
s'est-elle engagée a réduire les exportations agricoles
communautaires subventionnées de 21 p. cent sur
six ans, et a diminuer de 20 p. cent les subventions
internes. Elle a par ailleurs accepte de limiter
la superficie des terres consacrées a la culture
du soja, du tournesol et du colza afin de ménager
les productions américaines. Dans le même esprit,
l'Europe bruxelloise s'est laisse imposer une obligation
d'importer des produits agricoles a hauteur de 5
p. cent de sa consommation, y compris dans les secteurs
excédentaires. Ainsi la France, pays de grande tradition
viticole, devra importer des millions d'hectolitres
de vin californien ou chilien. Encore plus scandaleux,
l'Europe a reconnu aux Américains l'exclusivité
du marche asiatique pour la viande bovine ainsi
qu'une franchise douanière pour l'importation en
Europe de leurs produits de substitution aux céréales
(PSC), ce qui a fait subir a la Communauté un grave
préjudice financier.
La politique de Gribouille
Cette politique de Gribouille semble dépourvue de
toute logique, car elle conduit a pénaliser sans
aucune contrepartie les agriculteurs français et
européens. En effet, ces derniers se retrouvent
aujourd'hui totalement dépendants de la bureaucratie
bruxelloise puisqu'ils doivent en attendre chaque
année les subventions qui leur permettent de vivre
et que rien ne leur garantit qu'elles ne seront
pas peu a peu réduites a mesure que les responsables
maastrichiens décideront de diminuer les effectifs
de paysans. Cette méthode d'aides directes mené
donc a la destruction progressive du métier d'agriculteur,
car comment pourrait-on maintenir longtemps une
profession soumise a de telles contraintes ? Obligation
de vendre en dessous de son prix de revient, soumission
a des procédures bureaucratiques de subventionnement,
incertitudes sur l'avenir, interdiction de certaines
cultures, endettement massif, autant de servitudes
qui empêchent les paysans de rester motives et de
continuer a se sentir utiles, autant d'entraves
qui ne peuvent entraîner a terme la disparition
du monde paysan. Mais cette politique absurde a
d'autres conséquences néfastes. En effet, indépendamment
du sort réserve aux agriculteurs, les productions
agricoles françaises et européennes vont, elles
aussi, se trouver lourdement pénalisées. L'ensemble
des dispositions découlant du GATT et de la reforme
de la PAC est en effet conçu pour réduire les productions
européennes, tout en favorisant la pénétration du
marche continental par des produits étrangers. Les
exportations agricoles européennes sont programmées
pour diminuer en valeur de 30 a 40 p. cent, les
prix payes aux producteurs doivent baisser de 15
p. cent en moyenne, l'augmentation de la jachère
porte sur quatre a dix millions d'hectares de terres
arables et, dans le même temps, les importations
sont prévues pour augmenter massivement, compte
tenu des nouvelles facilites accordées a cette fin
aux partenaires commerciaux de l'Europe.
La logique de Washington
Cette funeste dérive de la Politique agricole commune
apparaît totalement absurde a qui se préoccupe des
intérêts européens. Mais comment s'en étonner quand
on sait que cette évolution s'est effectuée sous
la pression des Etats-Unis ?
La reforme de la PAC a consiste en un alignement
du système européen sur le dispositif américain
et, dans les discussions du GATT, les négociateurs
bruxellois ont capitulé en rase campagne devant
les envoyés de Washington. En matière agricole,
comme dans les autres secteurs marchands, l'idéal
initial du Marche commun a laisse la place au marche
mondial sous hégémonie américaine. La Commission
de Bruxelles s'est comportée en supplétif des Etats-Unis
et est-ce vraiment un hasard si le commissaire européen
qui a négocie les accords du GATT a été engage par
une société américaine des la fin de son mandat
? L'absurde politique agricole de Bruxelles a donc
bien une logique : ce n'est pas celle du vieux continent,
c'est celle de Washington !
Les trois objectifs
La nouvelle Europe devra la encore mettre un terme
a cette dérive catastrophique et reconstituer, dans
le cadre d'un pacte de coopération approprie, une
nouvelle politique agricole visant trois objectifs
prioritaires.
Le premier est celui de indépendance agricole de
l'Europe qui doit rendre aux nations qui la composent
la sécurité et la liberté que procure la certitude
de pouvoir disposer, quoi qu'il arrive, des denrées
indispensables. Denrées que notre pays et notre
continent peuvent parfaitement produire, car ils
disposent sur leur sol des capacités agraires suffisantes
pour assurer cette sécurité alimentaire. Le second
objectif concerne le revenu des agriculteurs qui
doit retrouver la parité avec celui des professions
urbaines, notamment pour son évolution dans le temps.
Cet impératif de normalisation des rémunérations
agricoles répond certes a une exigence de justice
sociale, mais aussi a un souci équilibré territorial.
Si l'on veut, en effet, rendre au tissu rural sa
vigueur, il faut maintenir en activité les agriculteurs
en nombre suffisant et, pour cela, leur garantir
un revenu décent. Nos campagnes ne resteront en
effet en vie que si l'agriculture retrouve un minimum
de prospérité.
Enfin, la nouvelle Europe devra également viser
l'objectif de la qualité des produits. Actuellement,
les mécanismes de la politique agricole sont tels
que la prime est trop souvent donnée a la quantité
sur la qualité. Pour réaliser la plus grosse recette
possible, il faut rechercher le meilleur rendement
et donc la production maximale, quelle que soit
par ailleurs la valeur qualitative de la récolte.
Un système particulièrement malsain qui pousse a
produire des denrées médiocres tant pour le goût
du consommateur que pour sa santé. De plus, l'hyperproductivisme
provoque bien souvent, par l'usage immodéré des
pesticides et des engrais, de fortes pollutions
des eaux. La nouvelle politique agricole devra donc
réorienter les cultures et les élevages vers une
amélioration de la qualité des produits.
Priorité aux produits européens
Pour atteindre ces objectifs, il conviendra d'abord
de rétablir la préférence européenne et, pour ce
faire, d'assurer la protection des agricultures
nationales aux frontières extérieures de l'Europe.
A cet égard, le système écluses douanières, tel
qu'il est prévu de établir pour l'ensemble des produits
commerciaux, fournira l'outil de base nécessaire
a la mise en oeuvre de cette politique de préférence.
Dans ce cadre, des mesures toutes particulières
devront être prises pour stopper l'importation de
denrées susceptibles être produites directement
en France et sur le continent. Ainsi, par exemple,
l'entrée sur le territoire européen des produits
américains de substitution aux céréales sera arrêtée
par des droits de douane et des contingentements.
Dans le même esprit, les accords contraignant l'Europe
a importer certains produits seront dénoncés, de
même que tous les traites bilatéraux ou multilatéraux
de libre-échange défavorables aux intérêts européens.
Il est en effet absurde que la France, par exemple,
laisse pénétrer sur son territoire des quantités
considérables de PSC alors qu'elle dispose d'une
surcapacité de production de céréales. De même,
au nom de quelle logique folle faudrait-il que notre
nation laisse envahir son marche par des millions
d'hectolitres de vins étrangers quand il n'est pas
de pays plus viticole que la France ? Et que dire
des moutons importes en masse, alors que notre pays
peut parfaitement en accroître la production nationale
? Compte tenu du formidable potentiel agricole dont
disposent l'Europe et surtout la France, cette politique
de préférence peut donc a elle seule assurer presque
entièrement l'autosuffisance alimentaire de notre
continent. Elle permettra d'autre part de dégager
de nouveaux débouchés intérieurs pour les productions
européennes, contribuant ainsi a renforcer la prospérité
du monde rural.
Face a ces heureuses perspectives, certains agiteront
sans doute la menace de représailles commerciales
de la part des concurrents de l'Europe. Or, un tel
danger n'est crédible et sérieux qu'en provenance
des Etats-Unis, c'est-à-dire précisément du pays
avec lequel les relations sont le plus déséquilibrées
en raison des innombrables concessions faites a
Washington par Bruxelles. Il n'est donc pas certain
que cet Etat soit le mieux place pour exercer un
chantage agricole sur le continent. D'autant qu'au
niveau politique, la nouvelle Europe pourra parfaitement
faire valoir la nécessite d'un développement plus
autocentré des nations ou groupes de nations et
souligner ainsi la légitimité du principe de préférence.
Les prix minimums garantis
Forte de cette priorité accordée en Europe aux produits
européens, la nouvelle politique agricole pourra
rétablir un système de prix minimums garantis. Des
lors que des écluses douanières préservent le marche
français et européen du marche mondial, il redevient
en effet possible de pratiquer la vérité des prix
a intérieur de l'Europe, c'est-à-dire de les stabiliser
a un niveau minimum suffisant pour permettre aux
agriculteurs de vivre décemment de la vente de leur
production.
A cette fin, il est nécessaire de soutenir les cours
lorsque ceux-ci descendent en dessous du seuil garanti
et donc de procéder a une intervention appropriée
des pouvoirs publics. Intervention cependant beaucoup
plus légère que dans le système actuel des subventions
car, dans un cas, il s'agit d'acheter, de stocker
et de déstocker des produits en fonction de évolution
des prix, alors que, dans l'autre, il faut s'ingérer
dans la gestion de chaque exploitation. Un tel mécanisme
réduit donc considérablement la puissance des bureaucraties
européenne et nationales et simplifie le mode de
fonctionnement global du dispositif agricole. Il
présente par ailleurs l'avantage d'émanciper les
agriculteurs, les faisant passer de l'état d'assistés
a une position normale d'acteurs économiques. Il
les libère psychologiquement d'une situation précaire
et humiliante pour leur rendre la plénitude de leur
fonction dans la société. Et, surtout, il leur offre
le moyen de gagner dignement leur vie en percevant
une juste rémunération qui corresponde directement
au fruit de leur travail.
Depuis trente ans déjà
Ce système est d'autant plus viable qu'il a été
mis en oeuvre pendant plus de trente ans par l'Europe
communautaire sans rencontrer de difficultés majeures.
Il est vrai qu'il a été abandonne en 1992 et qu'a
l'occasion de cette reforme, différentes critiques
ont été avancées par ses détracteurs pour qui cette
politique coûtait trop cher, favorisait la surproduction
et poussait a une agriculture polluante. Si toutes
ces objections ne sont pas a rejeter en l'état,
aucune d'entre elles ne justifiait pour autant que
l'on abandonnât le dispositif du soutien a la production
pour passer a celui des aides directes.
Ainsi, l'argument selon lequel le mécanisme des
prix garantis serait financièrement trop lourd ne
peut être retenu, car, actuellement, les deux systèmes
représenteraient une charge budgétaire pratiquement
équivalente. Certes, les responsables bruxellois
ont programme une baisse des coûts de la politique
agricole actuelle, mais celle-ci ne pourra se concrétiser
que par une baisse du niveau des subventions aux
paysans et donc par la disparition progressive de
ceux-ci. La méthode de l'aide directe n'est donc
pas moins onéreuse a niveau agricole constant, elle
ne l'est que dans la mesure ou elle organise la
régression du monde rural.
Qu'aura-t-on gagne ?
Or, une telle évolution se révèle profondément néfaste
a tous égards, d'autant qu'il n'est pas du tout
assure qu'elle corresponde a une économie globale
a l'échelle de la nation. En France, par exemple,
la poursuite de la désertification rurale entraîne
mécaniquement une aggravation de la situation de
l'emploi. Et la diminution du nombre de postes de
travail agricole vient alourdir encore la charge
des systèmes sociaux. Ce qu'on ne versera plus a
l'agriculture sera donc affecte au financement des
emplois de substitution, tels les stages, les CES
ou les emplois jeunes. Y aura-t-on gagne quoi que
ce soit ? Certainement pas, car, pour une augmentation
du nombre de chômeurs, on aura rompu équilibré psychologique
de la nation, compromis l'environnement et prive
notre pays de son autosuffisance agricole.
Les Américains mal placés
Cette aide publique a l'agriculture apparaît d'ailleurs
d'autant plus légitime qu'elle est pratiquée par
de très nombreux pays du monde, y compris par les
Etats-Unis qui n'ont pourtant jamais cesse leurs
critiques a l'endroit de la Politique agricole commune.
Critiques du reste particulièrement infondées, Washington
subventionnant plus ses agriculteurs que Bruxelles.
Ainsi la Communauté verse-t-elle en moyenne a chaque
paysan 78 000 francs par an pendant que l'agriculteur
américain en reçoit 199 000. De même, alors que
les céréaliers de l'Union européenne perçoivent
une aide de 110 francs par tonne de blé, ceux d'outre-Atlantique
se voient dotes d'une subvention de 365 francs.
Les Américains sont donc particulièrement mal places
pour contester la politique agricole européenne.
Car on peut même considérer que c'est leur propre
politique qui se trouve a l'origine du mécanisme
international d'aide a l'agriculture. En effet,
lorsque les Etats-Unis subventionnent leurs fermiers
par défiancy payment, leur permettant ainsi de vendre
leurs produits a des prix de dumping sur les marches
internationaux, ils poussent de ce fait a la baisse
les cours mondiaux de denrées alimentaires, laquelle
nécessite en retour l'attribution d'une aide publique
aux agriculteurs européens. Une Commission de Bruxelles
énergique et soucieuse des intérêts de l'Europe
aurait donc du pousser les Américains a aligner
leur système agricole sur celui des Européens plutôt
que l'inverse.
De telles considérations doivent donc rendre toute
sa légitimité a la politique de renouveau agricole
telle que l'Europe des nations pourrait la mettre
en oeuvre. Son coût, qui n'est pas prohibitif, s'élèverait
pour la France a un peu plus de 50 milliards e francs,
ce qui est raisonnable pour un budget national de
plus de 1 500 milliards. Et, pour l'Europe toute
entière, il pourrait représenter comme en 1992 environ
0,7 p. cent du PIB communautaire. C'est peu pour
nourrir trois cent soixante-dix millions d'Européens,
entretenir leurs paysages millénaires et assurer
leur sécurité alimentaire.
La qualité plutôt que la quantité
Encore faut-il qu'un troisième volet portant sur
la régulation du système vienne compléter les principes
de préférence et de prix garantis afin de répondre
aux critiques portant sur le risque de surproduction
et de pollution. L'existence d'un prix garanti donne
en effet aux agriculteurs l'assurance d'écouler
leurs produits quoi qu'il arrive et les pousse donc
a réaliser la production maximale, quelles que soient
les nuisances qui en résultent.
Afin éviter la constitution d'excédents par rapport
a la capacité des marches et la pollution liée a
l'hyperproductivisme agricole, il est donc essentiel
de mettre en place des mécanismes de régulation
appropries. De ce point de vue, le principe d'un
marche agricole européen protège du marche mondial
et dote d'un système de prix garantis offre des
possibilités de modulation particulièrement efficaces.
Ainsi est-il possible de différencier les prix selon
la qualité des denrées et d'imposer des normes exigeantes
des lors que l'on peut établir la rémunération des
produits en conséquence.
Dans cette perspective, il convient donc de favoriser
les productions de qualité plutôt qu'une agriculture
intensive. Pareille orientation présente en effet
de nombreux avantages, en dehors même de l'agrément
qui en résulte pour le consommateur. Qui dit denrées
de qualité dit en effet rendements limites et usages
modères des pesticides et des engrais chimiques.
Dans ces conditions, la production se trouve réduite
quantitativement, de même d'ailleurs que la pollution.
Quant a la qualité des denrées, elle justifie des
prix de vente plus élevés, ce qui favorise le système
des prix minimums garantis. Les techniques d'appellation
ou de label, assorties de chartes sévères portant
sur les méthodes de production, doivent donc être
développées, tels l'appellation d'origine contrôlée,
le label rouge, la certification de conformité ou
l'agriculture biologique.
Les normes contre la pollution
Certes, il n'est pas question d'imposer a l'ensemble
de l'agriculture les mêmes contraintes qualitatives,
d'autant qu'il conviendra de conserver des possibilités
d'exportation de denrées bon marche. Le secteur
voue a la qualité devra cependant représenter progressivement
une fraction très importante de la production globale.
Ce qui n'empêchera pas établir parallèlement, et
pour l'ensemble de l'agriculture, des normes de
qualité et de salubrité minimales, ainsi qu'un encadrement
des quantités, de façon a réduire la pollution et
a empêcher la surproduction.
Si certaines cultures ou certains élevages industriels
créent a l'excès des nuisances pour l'environnement,
pourquoi ne pas leur imposer des normes strictes
destinées a supprimer ces effets néfastes ? Les
rendements s'en trouveront diminues, mais peu importe,
puisque les prix garantis seront calcules en conséquence
et que la baisse de production qui en résultera
concourra a une meilleure maîtrise des surproductions.
De la sorte, a rebours du programme européen Natura
2000, il sera possible de respecter les impératifs
écologiques sans pour autant pénaliser les agriculteurs.
Décentralisation
Ainsi conçue, la politique de renouveau agricole
devra être largement décentralisée. Alors qu'elle
est actuellement gérée dans le détail par Bruxelles
qui met en place une administration quasi directe,
il conviendra, en application du principe de subsidiarite,
de revoir les compétences respectives de l'Europe
et des Etats en renforçant considérablement les
secondes par rapport aux premières. A charge pour
l'échelon européen de garantir les grands principes
de la nouvelle politique et pour les Etats de les
mettre en oeuvre en les adaptant a leur cas particulier.
Cette re-nationaisation partielle de la Politique
agricole commune pourra conduire les pays a assurer
par exemple la définition des normes, l'Europe se
chargeant de son cote de faire respecter le principe
de la préférence européenne et de la protection
extérieure du marche continental. Quant aux prix,
est-il indispensable qu'ils soient fixes a l'échelon
communautaire ? Pas nécessairement, car, si des
divergences apparaissaient entre certains Etats,
autorité européenne pourrait instaurer entre eux
des écluses tarifaires capables de maintenir la
cohérence d'ensemble du dispositif. Dans ces conditions,
la nouvelle souplesse ainsi conférée au système
agricole européen apportera un plus grand réalisme
dans la gestion de l'agriculture et lui assurera
une meilleure efficacité au bénéfice des paysans
comme des peuples.
Une grande oeuvre politique
Ainsi, en rétablissant la préférence européenne,
en assurant un système de prix garantis et en mettant
en oeuvre des mécanismes de régulation, la nouvelle
Europe pourra-t-elle rantir la pérennité du monde
rural, redonner un avenir aux agriculteurs et rendre
leur indépendance alimentaire aux peuples européens.
Pour un coût budgétaire raisonnable, elle disposera
de nouveau d'un secteur agricole puissant et équilibré
permettant aux paysans de vivre décemment des fruits
de leur travail, aux dirigeants de maîtriser tant
les productions que les pollutions et aux nations
de retrouver l'arme stratégique que constitue une
agriculture autosuffisante, moderne et exportatrice.
En rompant avec les mécanismes funestes du mondialisme
bruxellois et en organisant le renouveau agricole
du continent, la nouvelle Europe réalisera une grande
oeuvre politique au service des peuples européens.