L'histoire n'est pas finie et nous vivons dans un
monde ou les forces antagonistes de la planète sont
plus que jamais exacerbées. Pourtant, le vieux continent
européen semble assoupi, comme s'il ne pouvait plus
que subir ce qui survient. L'Europe, qui a été,
au fil des siècles écoulés, le théâtre principal
des grandes joutes historiques, se trouve reléguée
au second plan et les pays qui la composent paraissent
désormais incapables de maîtriser leur destin. Leur
avenir et leur survie même s'en trouvent compromis
s'ils ne se ressaisissent et ne s'emparent du feu
qui permet d'agir, d'affirmer son indépendance et
de peser dans le monde.
La se situe le rôle essentiel de la nouvelle Europe,
car elle seule peut leur apporter cette force qui
leur manque aujourd'hui. Aussi doit-elle, pour répondre
a cette attente, affirmer clairement une volonté
de puissance pour les peuples et les nations du
continent.
L'histoire n'est pas finie
Au lendemain de l'effondrement du mur de Berlin,
beaucoup se mirent a rêver de l'avènement d'un monde
nouveau d'ou les conflits seraient exclus. La disparition
de l'Union soviétique a même inspire certains penseurs
américains, tel Fukuyama, qui ont pu s'exclamer
: l'histoire s'est achevée ! Comme si la paix et
l'harmonie allaient tout naturellement s'imposer
après la fin du grand antagonisme Est-Ouest ! La
réalité cependant leur a donne tort et, si la menace
d'une agression de l'Armée rouge s'est évanouie,
d'autres conflits et d'autres dangers sont apparus.
Mais, surtout, la fin du monde bipolaire naguère
constitue par le bloc américain et l'empire soviétique
a élargi de façon spectaculaire le champ des possibilités
pour les nations du monde. Durant la guerre froide,
la planète entière semblait gelée et tous les pays
comme figes par équilibré de la terreur. Aucun peuple
ne pouvait agir souverainement, car tous, ou presque,
étaient impliques dans l'un des deux camps. De binaire,
le monde est maintenant devenu multipolaire et cet
éclatement des pôles de puissance a accru d'autant
la liberté d'initiative de chaque nation. Certes,
les Etats-Unis d'Amérique, seule superpuissance
actuelle, s'efforcent de contenir cette poussée
d'autonomie, mais, prives de l'argument du conflit
Est-Ouest, ils y parviennent difficilement.
A contre-courant
Cette nouvelle donne géopolitique devrait concerner
tout particulièrement l'Europe qui fut le véritable
glacis de l'affrontement USA-URSS et qui, a ce titre,
se trouvait particulièrement bloquée par la guerre
froide. Or, si l'effondrement de l'Union soviétique
a bien donne un formidable élan de liberté aux peuples
de l'Europe de l'Est, ceux de l'Ouest semblent être
restes, comme par le passe, blottis dans le giron
américain et soumis aux exigences et a la tutelle
des Etats-Unis. Plus grave encore, beaucoup des
gouvernements de l'Est, passée la période de libération,
paraissent maintenant vouloir imiter ceux de l'Ouest,
et c'est donc l'ensemble de l'Europe qui donne ainsi
l'impression d'aller a contre-courant des phénomènes
historiques.
En effet, alors même que le pacte de Varsovie menaçait
directement l'Europe occidentale d'une invasion
massive et brutale, les pays européens n'auront
jamais pu sceller une véritable union et se doter
d'une force militaire capable de faire face a l'Armée
rouge. Il aura donc fallu que 370 millions d'Européens
fassent appel a 260 millions d'Américains pour les
protéger contre 245 millions de Soviétiques. Et
c'est aujourd'hui, alors que la menace soviétique
a disparu, qu'avec Maastricht et Amsterdam intégration
européenne s'accélère. Certes, celle-ci ne concerne
pas le domaine militaire, mais, avec la disparition
progressive des souverainetés nationales, elle oeuvre
sur le terrain institutionnel et le paradoxe n'en
est pas moins étonnant. Les pays d'Europe, qui n'ont
pas fusionne face au danger de l'Est, sont en train
de le faire quand rien ne le justifie plus. Ainsi,
a époque du monde bipolaire, la seule façon pour
eux d'exister aurait été de s'ériger en un troisième
pole équivalant aux deux précédents. Et c'est au
moment ou la planète, devenue multipolaire, offre
aux nations, même petites, une plus grande latitude
pour exister et agir que les Etats du vieux continent
tentent de s'agréger en un pole monolithique et
n'hésitent pas a brider la liberté de leurs peuples.
Ni chaos ni unité
De ce point de vue, l'Europe de Bruxelles semble
totalement déconnectée des grands courants historiques.
A leur façon, les responsables maastrichiens adhèrent
aux thèses de la fin de l'histoire ou, plutôt, a
celle d'une évolution prédéterminée et continue
qui conduirait le monde du chaos vers unité. Aussi
leur projet d'Europe s'inscrit-il dans cette conception
linéaire de l'histoire selon laquelle le progrès
ne s'accomplirait qu'a travers une unification graduelle
de la planète.
Pourtant, cette vision d'une histoire uniformisant
progressivement la terre ne correspond pas a la
réalité. Jamais, par exemple, la planète ne se sera
trouvée aussi unifiée qu'au début du vingtième siècle,
quand l'Europe dominait le monde et rassemblait
tous les peuples autour de sa commune civilisation.
Or, depuis, contredisant la thèse déterministe,
le courant est allé plutôt dans le sens de la diversité,
puisqu'avec la décolonisation, et plus récemment
avec la libération du monde soviétique, c'est le
réveil des nationalités qui domine les phénomènes
internationaux.
Dans la réalité du monde
Cet exemple, parmi tant d'autres, montre que
l'histoire n'est pas déterminée, qu'elle ne s'écoule
pas selon un plan préétabli, bref, qu'elle n'a pas
de sens et ne pousse donc pas nécessairement vers
une unification de l'humanité. En réalité, l'histoire
n'est que le produit de la volonté des hommes et
plus particulièrement des peuples et des nations
qu'ils constituent. C'est donc le choc de leurs
ambitions contraires, le rapport de force qu'ils
établissent entre eux et les actions dont ils prennent
l'initiative qui forgent le destin des civilisations.
Aussi la nouvelle Europe doit-elle rompre avec cette
vision utopique d'une histoire linéaire et réenraciner
son action dans les réalités du monde actuel.
Il lui faut donc prendre acte de la fin du conflit
Est-Ouest et s'émanciper des Etats-Unis. La tutelle
américaine sur l'Europe, qui n'a plus aucune légitimité,
ne peut que cesser au plus vite. Notre continent
doit également tirer les conséquences de l'émergence
d'un monde multipolaire et mettre a profit les possibilités
nouvelles ainsi offertes aux nations de conserver
leur souveraineté. La constitution d'une Europe
fédérale est moins que jamais nécessaire. Enfin,
en renouant avec une vision de l'histoire plus conforme
a la réalité, l'Europe des nations doit prendre
en compte les exigences du rapport de force entre
les peuples et s'efforcer de redonner aux pays européens
la puissance qu'ils ont perdue.
Indépendance et puissance
Sans puissance, en effet, il n'y a pas indépendance
pour les nations et, sans indépendance, il n'y a
plus ni souveraineté ni liberté pour les peuples.
Indépendance est une exigence essentielle pour toute
communauté nationale. Comparable au libre arbitre
d'une personne, elle conditionne la capacité d'une
nation a décider elle-même de son destin. Or, cette
valeur autrefois si en vogue dans les discours politiques
semble aujourd'hui presque totalement oubliée. Et
pour cause : personne n'en parle jamais car tout
le monde sait qu'elle a disparu ! Et d'expliquer
que cette dépendance de la France et des pays européens
résulte naturellement du processus de mondialisation
des échanges qui a rendu tous les pays du monde
interdépendants.
En raison de l'imbrication des économies, de la
production de masse, de la dimension planétaire
du commerce et des systèmes mondialises de télécommunications
et de transports, indépendance des nations serait
devenue une idée absurde et démodée. Peut-on affirmer
pour autant que les Etats-Unis, première puissance
mondiale, ne sont plus indépendants eux non plus
? Certainement pas, car, l'interdépendance étant
pas neutre, les liens qui établissent entre les
pays relèvent de la subordination ou de la domination.
Des lors, les Etats les plus indépendants sont ceux
qui disposent de la puissance. Puissance qui constitue
aujourd'hui, dans le monde complexe ou nous vivons,
la seule voie offerte aux nations pour conserver
leur autonomie et rester libres de décider elles-mêmes
de leur avenir.
Tel un athlète découragé
C'est dire le rôle déterminant de l'Europe
des nations, qui, en restaurant la puissance des
pays du continent, peut leur rendre leur indépendance
et donc leur liberté et leur souveraineté. Or, une
telle entreprise est parfaitement réalisable, car
les nations d'Europe, qui jadis dominèrent le monde,
détiennent ensemble tous les atouts pour redevenir
une force de premier plan. Elles disposent encore
d'une population nombreuse, dotée d'un haut niveau
de qualification et d'une culture sans équivalent.
Elles maîtrisent l'ensemble des sciences et des
techniques et peuvent s'appuyer sur des économies
qui, malgré les difficultés qu'elles traversent,
figurent toujours parmi les plus riches et les plus
développées de la planète. Le vieux continent possède
donc sur son sol tous les instruments de la puissance.
Pourtant, il refuse aujourd'hui de s'en servir et,
tel un athlète décourage, renonce avant même d'avoir
combattu. N'est-il pas en effet pitoyable de voir
les grands peuples européens capituler dans la bataille
commerciale du GATT, se soumettre docilement a des
organisations internationales qu'ils ne contrôlent
plus et suivre pas a pas les Etats-Unis dans leur
politique étrangère et dans leurs interventions
militaires ?
De nos jours, les dirigeants des nations européennes
se contentent d'accepter, d'imiter et de subir,
en faisant croire qu'ils agissent de leur plein
gré, alors qu'ils estiment ne pas avoir le choix.
Toujours au deuxième plan et dans les seconds rôles,
les pays du continent ne prennent jamais l'initiative
d'une action d'envergure et n'osent en aucune façon
s'opposer a la volonté des Etats-Unis d'Amérique.
La force et le bien
Afin de mettre un terme a cette humiliante
situation, il est essentiel que la nouvelle Europe
recherche sans complexe la puissance pour notre
continent et rende aux nations qui la composent
le goût et la capacité de s'inscrire de nouveau
dans l'histoire. Encore faut-il, pour y parvenir,
croire a la légitimité d'une telle démarche et considérer
comme ineptes les états d'âme des faiseurs d'opinion
pour qui indépendance est dépassée et la puissance
assimilée au mal !
Quoi de plus absurde en effet ! Indépendance c'est
la liberté, et la liberté est éternelle. Quant a
la force, aucun philosophe ne l'a jamais assimilée
au mal puisqu'elle constitue même, avec la tempérance,
la prudence et la justice, l'une des quatre vertus
cardinales. Procéder a ce genre d'amalgame, c'est
confondre la fin et les moyens, car, s'il est vrai
que la puissance peut être mise au service du mal,
jamais la faiblesse n'a conduit au bien. C'est en
revanche la force qui permet de protéger, de faire
régner la justice et de garantir la liberté. Bref,
la puissance est bénéfique et la refuser dans le
monde dangereux, instable et oppressant qui est
le notre, c'est accepter la servitude. Parce que
sa mission première est de rendre leur liberté aux
nations européennes, la nouvelle Europe oeuvrera
donc au retour de la puissance sur le vieux continent,
aussi bien par la force militaire que par l'action
diplomatique.
Les nouvelles menaces
La force armée, qui fut de tout temps l'apanage
des nations indépendantes et fortes, demeure en
effet indispensable pour se prémunir contre les
menaces et se faire respecter dans le monde. Aujourd'hui,
il est vrai, le danger majeur qui, pendant des décennies,
a pèse sur la France et ses voisins s'est évanoui
avec l'effondrement du système soviétique. Et tous
les dirigeants européens actuels d'en conclure aussitôt
qu'on peut, sans risque, diminuer massivement les
budgets militaires. Dans notre pays, on procède
même a un véritable démantèlement de armée française
: les régiments sont dissous les uns après les autres,
les arsenaux fermes, les programmes d'armement diffères
et, sous prétexte de supprimer le service militaire,
on a tellement réduit le format de notre armée qu'elle
ne pèsera bientôt pas plus que celle d'un Etat du
tiers monde.
Les menaces ont-elles pour autant définitivement
disparu ? Même a l'est de notre continent la stabilité
n'est pas encore revenue et tout danger n'est pas
écarte, car il suffirait de certains changements
de régime intempestifs pour que des postures agressives
réapparaissent et que des menaces nouvelles se manifestent.
Et que dire de la situation au sud de notre continent,
la ou les Etats sont fragiles et ou les peuples,
jeunes, nombreux et encore pauvres, sont travailles
en profondeur par toutes sortes de courants intégristes
? Sans compter l'immigration massive des populations
du Sud vers le continent européen qui peut être
demain, si le rapport de force nous devient défavorable,
une source de conflit international dont le terrorisme
islamique constitue un signe avant-coureur particulièrement
inquiétant.
Les foyers menaçants peuvent cependant se trouver
localises ailleurs qu'aux confins immédiats de l'Europe
occidentale, car, dans le monde d'aujourd'hui, ou
les intérêts des nations s'interpénètrent de plus
en plus, l'agression peut venir de la ou personne
ne l'attend. Qui peut dire par exemple qu'un conflit
comme le blocus pétrolier de 1973 ne se reproduira
jamais, au besoin sous d'autres formes, pour d'autres
matières et en d'autres lieux ?
Pour faire face
C'est pourquoi il est scandaleux de désarmer
la France et les nations européennes, car, si demain
notre pays ou notre continent se trouvait confronte
a un réel danger, il serait pris au dépourvu et
incapable de faire face. Une menace grave peut en
effet se concrétiser en quelques mois alors qu'il
faut dix ans pour faire aboutir un programme d'armement.
Le maintien d'une armée digne de ce nom est donc
une nécessite majeure de protection et de survie.
Nécessite d'autant plus impérieuse que, loin être
inutile en temps de paix, la force militaire constitue
également un instrument politique dans les relations
internationales.
La puissance armée demeure en effet un argument
implicite et permanent au service d'une nation pour
se faire respecter dans ses relations extérieures.
Et, s'il n'est pas question de justifier ici le
moindre chantage agressif, force est néanmoins de
reconnaître qu'un peuple disposant d'une puissance
militaire d'envergure impose le respect et s'assure
une prééminence naturelle sur les autres pays. Les
Etats-Unis constituent a cet égard une parfaite
illustration de cette vérité immémoriale. Qui peut
croire en effet qu'ils disposeraient d'une telle
influence dans le monde s'ils ne devaient compter
que sur leurs seuls atouts économiques ? A n'en
pas douter, la suprématie américaine vient aussi,
et peut-être surtout, de son armée, la plus forte
du monde. Aussi la nouvelle Europe, si elle veut
rendre la puissance aux nations qui la composent,
doit-elle se préoccuper de la question militaire.
L'Europe otanisée
La première initiative a prendre dans ce domaine
concerne la remise en cause de l'Alliance atlantique
qui, depuis sa création en 1949, reste totalement
contrôlée, et a tous les niveaux, par les Etats-Unis,
avec l'appui sans faille de la Grande-Bretagne.
Cette organisation, qui tirait sa légitimité de
la menace soviétique contre laquelle elle avait
été mise sur pied, a perdu l'essentiel de sa raison
être lors de la disparition du pacte de Varsovie.
Si donc les Américains cherchent a tout prix a préserver
cette alliance, c'est qu'elle représente pour eux
le moyen privilégie de maintenir leur tutelle sur
l'Europe occidentale. Avec ce dispositif, ils font
en effet coup double : ils empêchent la constitution
d'une puissance militaire propre aux pays européens
et ils placent les armées du vieux continent sous
leur contrôle direct. Cette emprise américaine est
tellement réelle que jamais les nations d'Europe
n'auront pu obtenir la création d'un pilier européen
de l'Alliance. Toutes les offensives diplomatiques
qu'ils auront lancées en ce sens se seront brisées
devant la volonté des Etats-Unis. A tel point que
les Américains conservent pour l'un des leurs, non
seulement le poste de commandement suprême de l'Alliance
en Europe, mais aussi le commandement sud, pourtant
timidement réclamé par les Européens. Malgré le
souhait exprime par les dirigeants du continent,
ce n'est donc pas l'Otan qui aura été européanisée
mais l'Europe qui restera otanisée. Comment d'ailleurs
pourrait-il en être autrement avec la classe politique
actuelle ? N'est-ce pas M. Chirac qui, de son propre
chef, a engage, après l'effondrement de l'URSS,
un processus de réintégration de la France dans
l'organisation militaire de l'Alliance atlantique,
alors même que le général De Gaulle l'en avait fait
sortir en pleine guerre froide ?
L'Alliance militaire
D'ailleurs, l'Otan est devenue aujourd'hui
un instrument militaire de plus en plus mal adapte
a la maîtrise des crises susceptibles de secouer
le continent européen. En effet, les aléas de la
politique intérieure des Etats-Unis, avec un Congres
qui peut basculer a tout moment dans l'isolationnisme,
rendent incertaine toute intervention américaine
au profit du vieux continent.
Pour mettre un terme a cette situation humiliante
et dangereuse, la nouvelle Europe doit donc dénoncer
l'Otan et proposer une alliance militaire européenne.
Que la France et les autres pays du continent se
retirent de cette organisation et prennent en charge
ensemble la défense et la sécurité de l'Europe !
Pour ce faire, la bonne méthode ne consiste pas
a créer une nouvelle CED et a procéder, comme avec
l'eurocorps franco-allemand, a une quelconque intégration
des armées nationales au sein d'une utopique armée
européenne. Les forces militaires constituant, plus
encore que la monnaie, le coeur de la souveraineté
d'une nation, il n'est pas question de les placer
sous une quelconque tutelle supranationale. La solution
réside donc dans la création d'une authentique alliance,
comparable a elles que les nations souveraines de
l'Europe ont nouées entre elles lors des grands
conflits continentaux du passe. Cette alliance,
qui constituera un pacte de coopération intègre
au dispositif institutionnel de l'Europe des nations,
permettra en effet d'instaurer une collaboration
efficace entre les pays concernes, tout en respectant
leur souveraineté et l'intégrité de leurs forces
armées.
Une Otan européenne
L'organisation de cette alliance pourrait s'inspirer
du schéma actuel de l'Otan dont efficacité technique
n'est pas contestable. Elle serait bien sur soumise
a autorité du Conseil des nations et placée au quotidien
sous la responsabilité d'un Comité des nations fonctionnant
comme un exécutif permanent. Lui seraient adjoints
un secrétariat général et, sur le plan militaire,
un comité des plans et un état- major intègre qui,
en cas de conflit, assurerait le commandement des
forces armées mobilisées et mises a disposition
par les Etats. En temps normal, cette coopération
en matière de défense portera sur le maintien d'une
infrastructure militaire et sur la politique d'armement.
L'Alliance devrait maintenir en permanence sur le
territoire européen un ensemble logistique constitue
de matériel, équipements, de munitions et de vivres
ainsi que l'infrastructure de transports correspondante.
Elle aurait aussi a mettre sur pied un système de
communication performant calque sur le dispositif
Otan ainsi qu'un réseau de surveillance et de contrôle
des domaines terrestre, maritime, aérien et spatial.
Quant a la coopération en matière d'armement, elle
doit d'abord mettre fin a l'absurdité de la situation
actuelle qui permet a certains Etats européens d'acheter
leur matériel aux Américains, alors que d'autres,
telle la France, éprouvent de graves difficultés
a maintenir en activité leurs arsenaux, faute de
débouchés suffisants. L'Alliance militaire européenne
devra donc veiller a ce que l'intégralité des armements
achetés par les pays européens soient fabriques
en Europe par des industries nationales. Il s'agit
la d'un impératif de solidarité économique, mais
aussi et surtout indépendance stratégique, car un
pays, ou un ensemble de pays, ne peut rester souverain
s'il est soumis, pour ses approvisionnements en
matériel militaire, au bon vouloir d'une nation
étrangère. Il appartiendra donc a l'Alliance de
mettre en oeuvre une politique d'armement concertée,
propre a assurer l'autonomie européenne dans le
domaine des armes classiques.
Le nucléaire et la technologie
Pour ce qui concerne les forces stratégiques,
il revient a la France de prendre ses responsabilités,
car, la Grande-Bretagne restant dans ce domaine
subordonnée aux Américains, notre pays est actuellement
le seul, au sein de l'Europe des nations, a disposer
en toute indépendance de l'arme nucléaire. Celle-ci,
bien qu'aujourd'hui affaiblie par plusieurs décisions
élyséennes absurdes, demeure une menace crédible
pour tout agresseur potentiel et ceci pendant encore
une dizaine années. Pour préparer l'avenir de cet
atout militaire essentiel, notre pays devra se réserver
la possibilité de procéder de nouveau, si nécessaire,
a des essais nucléaires, les traites d'interdiction
signes par M. Chirac pouvant être dénoncés dans
les formes.
Enfin, la nouvelle Europe devra s'efforcer de combler
le retard pris par les Etats européens dans les
secteurs stratégiques que constituent l'électronique
militaire, les moyens d'observation et de communication
par satellite, les moyens de transports a grande
échelle et tous les armements de haute technologie.
La guerre du Golfe a montre combien la puissance
militaire passe désormais par la maîtrise des techniques
de pointe et quelle tache les nations d'Europe ont
encore a accomplir pour pouvoir égaler les Américains
dans ce domaine.
Aussi forte que les Etats-Unis
Le vieux continent détient, n'en doutons pas,
les moyens scientifiques, techniques et industriels
de mener a bien une telle ambition en matière d'armement.
Quant aux moyens financiers nécessaires, ils dépendent
de décisions politiques qui devront être prises
par les nations européennes. L'Alliance militaire
qu'elles peuvent former n'a en effet de sens que
si chaque Etat qui y participe accepte d'augmenter
significativement son budget de défense afin que
l'effort global consacre par l'Europe a ses moyens
militaires atteigne celui que les Américains mobilisent
pour leur armée.
Semblable objectif n'a rien d'utopique, car l'Europe,
rappelons-le, est plus peuplée et aussi riche que
les Etats-Unis. Des lors, si toutes les nations
concernées du continent consacrent aux dépenses
militaires le même pourcentage de PIB que Washington,
elles pourront disposer globalement d'un budget
comparable a celui du Pentagone et constituer de
ce fait des forces aussi nombreuses et aussi bien
armées que celles des Etats-Unis. Certes, il s'agit
dans un cas d'une armée fédérale intégrée et dans
l'autre d'une juxtaposition armées nationales coordonnées,
mais, pour peu que l'Alliance militaire européenne
joue pleinement son rôle, les pays européens pourraient
jouir d'une sécurité et d'un poids politique sans
commune mesure avec ce qu'ils connaissent aujourd'hui.
Sans obérer les souverainetés
De plus, ils disposeraient de cet atout majeur
sans pour autant obérer leur souveraineté nationale,
car les forces militaires concernées resteraient
sous autorité de leurs gouvernements respectifs
qui pourraient les utiliser comme ils l'entendent
a leur seule initiative. Ce n'est qu'en cas de menace
contre le territoire ou les intérêts d'un pays européen
et a sa demande que l'Alliance pourrait être amenée
a jouer un rôle opérationnel en mobilisant et en
coordonnant les moyens nécessaires.
On mesure alors le formidable avantage que représenterait
un tel outil militaire européen. Alors que leurs
forces armées conserveraient leur caractère national
et les prérogatives qui s'y rattachent, les pays
européens disposeraient globalement, en toute autonomie,
d'une puissance militaire comparable a celle des
Etats-Unis. Leur poids dans le monde s'en trouverait
considérablement renforce, ils recommenceraient
de compter a échelle de la planète et seraient a
nouveau en mesure de faire prévaloir leurs vues
et leurs projets.
Aussi est-il important de concevoir, au service
de la puissance européenne, un deuxième domaine
de coopération portant, lui, sur le volet diplomatique.
Le plus petit commun dénominateur
Dans le domaine des relations internationales,
l'Europe bruxelloise a instaure de son cote une
politique étrangère et de sécurité commune désignée
du sigle barbare de PESC. Cette initiative aux contours
et aux principes mal définis s'est soldée jusqu'à
présent par un véritable fiasco. Hormis la supervision
de quelques élections dans des pays tiers et le
financement de certaines zones défavorisées, la
PESC s'est surtout signalée par son inexistence.
Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement
? Cette PESC instaure en effet des procédures de
consultation complexes pour pousser les Etats a
adopter une même politique étrangère. Quoi de plus
absurde et de plus malsain, alors que, chacun le
sait, les nations souveraines ont, par définition,
des intérêts divergents et ne peuvent donc, a moins
de renoncer a leur indépendance, s'accorder sur
une politique extérieure commune ? En l'occurrence,
la PESC les conduit donc a se mettre d'accord sur
le plus petit commun dénominateur susceptible être
en cohérence avec leurs politiques respectives.
Et l'imbroglio des procédures accouche, après des
délais considérables, d'une position commune affligeante
de platitude et d'inefficacité. On a d'ailleurs
vu, a l'occasion du conflit bosniaque, comment cette
méthode a conduit l'Europe bruxelloise a étaler
son impuissance et ses contradictions.
La Chambre des conflits
Il faut donc, la encore, rompre avec les méthodes
maastrichiennes et imaginer pour l'Europe des nations
un autre schéma respectant la souveraineté des peuples.
Loin de vouloir brider les Etats et chercher a leur
imposer une politique étrangère commune, il faut
au contraire les laisser totalement maîtres de leurs
actions internationales et ne prévoir une intervention
de la nouvelle Europe qu'en cas d'antagonisme majeur
entre pays du continent. A cette fin, pourrait être
créée une institution de sécurité collective, appelée
Chambre de règlement des conflits, destinée a apporter
une solution aux affrontements du type de ceux qui
ont fait rage ces dernières années sur le territoire
de l'ex-Yougoslavie.
N'est-il pas en effet humiliant pour les peuples
européens que de tels troubles soient l'occasion
pour des puissances extérieures a l'Europe d'intervenir
au coeur de notre continent ? Si l'Europe doit redevenir
un pole de puissance, elle ne peut plus tolérer
l'intervention sur son sol de troupes ou de gouvernements
étrangers, de même qu'elle ne doit plus accepter
l'immixtion dans ses affaires d'organisations extra-européennes.
Pour éviter ces intrusions et tenter de résoudre
les graves différends qui peuvent survenir sur son
territoire, la nouvelle Europe doit se doter d'une
instance propre de règlement des crises, comparable,
a échelle de l'Europe, au Conseil de sécurité de
l'Onu. Emanation du Conseil des nations, cette Chambre
des conflits, qui pourrait être saisie de toute
tension sérieuse entre pays européens, devrait rendre
des arbitrages et prendre des mesures incitatives
pour les faire appliquer.
Un peuple sur une terre
Pour être légitime, cette institution devrait
rassembler tous les Etats européens concernes et
leur faire approuver une charte fondatrice sur la
base de laquelle les décisions pourraient être rendues.
Bâtie sur le principe national, cette charte garantirait
a chaque nation le droit de s'organiser comme telle
sur un territoire qui lui soit propre. Elle pourrait
prévoir le principe de l'autodétermination des populations,
l'intangibilité des frontières, sous réserve de
modifications mineures approuvées par référendum,
ainsi que la protection des minorités. Cet organisme
de sécurité européen pourrait ainsi contrôler plus
efficacement les conflits qui éclatent dans l'Est
de l'Europe. Car, contrairement a ce qu'affirment
certains, ces affrontements ne sont pas dus a un
nationalisme exacerbe, mais sont plutôt la manifestation
d'un sentiment national bafoue. C'est parce que
l'on veut faire vivre ensemble des populations qui
se disputent une même terre que les conflits perdurent
et dégénèrent. Des lors, pour y mettre fin, est-il
essentiel d'appliquer au mieux le principe de la
charte : un peuple sur une terre !
Récuser l'Onu
Certains feront sans doute valoir que l'Europe
des nations serait mieux avisée de ne pas se préoccuper
de ces affrontements et de s'en remettre a d'autres
pour tenter de les régler. Semblable dérobade ne
serait cependant pas compatible avec le principe
de la puissance et de indépendance. La nouvelle
Europe, qui revendique en effet la force et la liberté,
doit accepter en contrepartie les charges et les
contraintes qui s'y attachent.
Contrairement a l'Europe de Bruxelles qui, avec
l'Onu et l'Otan, perd son indépendance collective
en se déchargeant sur des organisations étrangères
au continent, la nouvelle Europe doit assumer ses
responsabilités et, pour faire respecter son autonomie,
récuser toute initiative de l'Onu concernant d'éventuels
conflits situes sur son territoire, exactement comme
le ferait la France, par exemple, si elle était
visée par une résolution de l'institution new-yorkaise.
Pour mettre en oeuvre ce principe, notre pays dispose
d'ailleurs de son droit de veto a l'Onu, droit qui
pourrait s'exercer systématiquement chaque fois
que la crise concernée serait de la compétence de
la Chambre européenne de règlement des conflits.
Ainsi la nouvelle Europe retrouverait-elle a échelle
de la planète une autorité et un prestige capable
de forcer le respect.
Le modèle alternatif
L'ensemble de ce dispositif sera encore renforce
par la stratégie commune de la nouvelle Europe pour
imaginer un nouveau modèle des relations internationales
et tenter de le faire prendre en compte par les
nations du monde dans leurs conceptions et leurs
pratiques des échanges multilatéraux.
Actuellement, en effet, les Etats-Unis sont seuls
a avoir développe une conception globale de l'organisation
de la planète fondée sur une vision mondialiste
qui leur est propre et qui les sert. En prônant
un nouvel ordre mondial, ils se sont dotes d'un
discours par lequel ils légitiment leur ingérence
et leur hégémonie. Et, si de nombreux pays, de par
le monde, perçoivent que cette idée d'ordre planétaire
peut leur être néfaste et profite prioritairement
aux Etats-Unis, ils ont été impuissants jusqu'à
présent a lui opposer un schéma de remplacement.
C'est donc a l'Europe des nations, et a la France
en particulier, d'élaborer ce modèle alternatif
des relations internationales et de le faire valoir
dans le monde. Nouveau concert des nations dont
la mise en oeuvre pourrait constituer l'objectif
du second volet de coopération diplomatique propre
a la nouvelle Europe. Chacun des pays du vieux continent
se trouvant, a échelle de la planète, dans la même
configuration géopolitique peut en effet avoir interêt
a promouvoir une même vision globale de l'organisation
du monde. Il s'agirait donc pour les pays européens
de définir et d'adopter un projet unique constituant
en quelque sorte la référence commune de chaque
diplomatie nationale. Continuant d'oeuvrer d façon
libre et décentralisée, les nations d'Europe conserveraient
leur souveraineté, mais, partageant un but commun,
elles agiraient de façon convergente et complémentaire
pour faire triompher leur projet.
Le nouveau concert des nations
Fonde sur le principe national, ce nouveau
concert des nations prendrait le contre-pied du
discours américain. Alors que l'un prône la mondialisation
de la planète, l'affaiblissement des nations par
leur soumission a des organisations multilatérales
et la dérégulation systématique de économie mondiale,
l'autre reconnaîtrait le fait national comme incontournable,
rétablirait le principe bénéfique des frontières
et militerait pour une régulation générale des échanges.
Alors que l'un va dans le sens du nivellement et
du brassage, l'autre préconiserait le respect des
différences et des identités.
Concrètement, ce modèle européen oeuvrerait pour
une régulation des mouvements économiques et des
courants migratoires. Il s'agirait dans les trois
cas de mettre un terme a un libéralisation excessive
pouvant conduire a de graves distorsions, sinon
a des conflits majeurs. Et d'instaurer des mécanismes
visant a contrôler ces différents courants d'échange
de façon qu'ils ne se fassent pas contre la volonté
d'une nation et qu'ils cessent de provoquer des
déséquilibres humains ou sociaux.
Au bénéfice des peuples
Ainsi, dans le domaine commercial, cette régulation
pourrait se concrétiser par la mise en place de
systèmes écluses aux frontières des grands ensembles
économiques homogènes, procède qui permettrait éviter
la pratique d'une concurrence déloyale dans les
pays développes, mais aussi de mettre un terme a
une exploitation éhontée de la main-d'oeuvre dans
certains pays du tiers monde. S'agissant de la circulation
des capitaux, la régulation a instaurer viserait
a atténuer les effets, déstabilisateurs pour les
économies, de la circulation parfois erratique de
masses financiers colossales qui franchissent les
frontières a la vitesse d'une transmission de donnée
informatique. Quant au dispositif de contrôle des
mouvements migratoires, il devrait prévoir une responsabilité
des pays d'émigration et une coopération financière
accrue entre les pays du Sud et ceux du Nord pour
la limitation des flux de population et le retour
chez eux des immigres. Pareille conception, fondée
sur le droit des peuples a indépendance et a la
souveraineté et sur une aide renforcée a égard des
pays du tiers monde, pourrait contrebalancer avec
efficacité le schéma du nouvel ordre mondial américain.
La nouvelle Europe, brandissant cet étendard, ne
resterait pas isolée et, ralliant de nombreux pays
a son projet, serait susceptible, non seulement
de créer un nouveau pole géopolitique, mais aussi
de faire prévaloir une autre organisation du monde,
plus bénéfique pour les peuples et les nations de
la terre.
Le premier pôle
Ainsi conçue, la coopération des pays européens
dans le domaine militaire et diplomatique permettra
de rendre a l'Europe et aux patries qu'elle rassemble
la puissance et le prestige qu'elles ont aujourd'hui
perdus. Notre continent pourra redevenir un pole
majeur vers lequel se tourneront les peuples et
les Etats de la planète. Sans perdre leur souveraineté,
les nations européennes cesseront de subir et de
jouer les figurants, pour être a nouveau maîtres
de leur destin et capables d'écrire l'histoire.
Toutes ensemble, elles retrouveront la place qui
aurait toujours du rester la leur : la première.