Soumise à la pression des forces implacables de la
mondialisation et aussi aux effets dévastateurs de
la chute de la démographie, la protection sociale
des Français risque aujourd'hui de s'effondrer. Vieillissement
de la population, accroissement du chômage, diminution
du nombre des actifs, autant de facteurs qui réduisent
la masse des cotisants, pendant que le développement
de la consommation de soins, la montée du nombre de
retraités, l'augmentation de l'immigration et la multiplication
des gaspillages élèvent de plus en plus le coût global
des versements à effectuer. Pour sauver la protection
sociale, il est donc nécessaire d'engager une réforme
d'envergure destinée à refonder l'assurance maladie
et le système des retraites sur des bases saines.
Les courbes divergentes
Depuis près de vingt ans, malgré plans de sauvetage,
la situation n'a cessé de se dégrader à mesure qu'augmentait
la part de la protection sociale dans le PIB. Les
trois grandes branches, santé, vieillesse et famille
de la sécurité sociale, qui représentaient au début
des années quatre-vingt environ 23 p. cent de la production
nationale, pèsent aujourd'hui près de 29 p. cent du
PIB. Chaque année, le taux de croissance des prélèvements
est en moyenne de 3,3 p. cent en termes réels, alors
que le PIB progresse d'un peu moins de 2 p. cent par
an. Or, l'augmentation du PIB est elle-même plus rapide
que celle de la masse salariale sur laquelle sont
assis la plupart des prélèvements servant à financer
les transferts sociaux. En effet, cette dernière n'a
augmenté que de 1,2 p. cent par an durant la période
1992-1993, soit 2,1 points de moins que la croissance
des dépenses sociales. C'est dire si le problème est
aigu : sans réformes structurelles, il faudrait maintenir
parallèles deux courbes qui divergent de 2,1 p. cent
par an !
La situation risque cependant de se dégrader encore
davantage avec la chute démographique et le vieillissement
impressionnant qui va frapper notre population. Déjà
en 1994, le paiement des retraites représentait 920
milliards de francs, soit 12,4 p. cent du PIB. Et,
comme 45 p. cent environ des dépenses de santé sont
consacrées aux plus de soixante ans, c'est au total
déjà 1 200 milliards qui à cette date étaient affectés
aux retraités. Or les projections démographiques sont
formelles, le nombre des plus de soixante ans va augmenter
de façon spectaculaire dans les années à venir. On
estime en effet qu'il passera de onze millions en
1995 à vingt et un millions en l'an 2050, alors que,
dans le même temps et au rythme actuel, les moins
de vingt ans verront leur nombre régresser de quinze
à neuf millions. Cette sinistre perspective s'explique
par un taux de natalité inférieur à 1,5 enfant par
femme qui empêche le renouvellement des générations
et par une augmentation de la durée de vie qui accroît
mécaniquement le nombre des personnes âgées. Pourtant,
en raison du faible effectif des classes d'âge à la
retraite et du baby-boom des années 1950-1960 dont
les générations sont toujours en activité, la France
se trouve encore dans une position acceptable. Mais
la situation va basculer à partir de l'an 2005, date
à laquelle la population active va commencer à diminuer
pendant que l'effectif des personnes de plus de soixante
ans connaîtra une explosion. Ainsi le rapport entre
le nombre d'individus dont l'âge est compris entre
vingt et soixante ans et celui des plus de soixante
ans qui était encore de 2,24 en 1990 va descendre
jusqu'à 1,5 en 1'an 2040.
Un chiffre qui ne reflète d'ailleurs pas totalement
la gravité de la situation car il ne prend pas en
compte la baisse du taux d'activité qui réduit encore
le nombre des cotisants. Alors qu'en 1954, la majorité
des garçons et une très forte minorité des filles
exerçaient une profession dès l'âge de vingt ans,
aujourd'hui, compte tenu du chômage des jeunes gens
et du prolongement de la durée des études, moins de
la moitié des personnes jeunes de vingt à trente ans
cotisent à la sécurité sociale. De même, au lendemain
de la guerre, 72 p. cent des hommes de soixante à
soixante-quatre ans étaient encore en activité et
donc cotisaient, alors qu'ils ne sont plus aujourd'hui
que 21 p. cent.
Clarifier les comptes
Ainsi la protection sociale est-elle gravement menace
par une montée inexorable des dépenses et par un déséquilibre
qui va croissant entre le nombre des cotisants et
celui des bénéficiaires de prestations. Aussi faut-il,
pour enrayer ce processus, imaginer une nouvelle logique
qui rompe avec l'absurdité des évolutions actuelles.
Face à une telle impasse, il n'est plus possible en
effet de se contenter de mesures dilatoires, de réformettes
ou de bricolages budgétaires du type de ceux mis en
œuvre depuis vingt ans par les gouvernements successifs
et qui se ramènent tous à une même démarche consistant
à augmenter les cotisations et à diminuer les prestations,
tout en s'efforçant de dissimuler au mieux la régression
qui en résulte. Il convient donc d'engager une réforme
d'envergure pour sauver la protection sociale Cependant,
pour y parvenir, il faut au préalable remettre de
l'ordre dans le système afin que les comptes soient
clarifiés et que chaque branche retrouve son autonomie
et puisse être remodelée selon une logique qui lui
soit propre.
Actuellement, la protection sociale fait l'objet
de tant de manipulations administratives et financières
que personne n'y comprend plus rien. Ainsi, par exemple,
la branche famille, qui, en 1993, était excédentaire
de plus de 10 milliards de francs, a depuis lors été
mise en déficit à la suite d'un transfert de 1,3 point
de CSG au Fonds de solidarité vieillesse. Subterfuge
qui permet aujourd'hui aux technocrates d'expliquer
que " la branche famille est en déficit et qu'il faut
faire des économies sur les familles". En réalité,
les comptes sont faussés et les ressources transférées
d'une branche à l'autre de façon totalement arbitraire
par une technostructure qui joue au Monopoly avec
la protection sociale des Français. Selon un rapport
de la Cour des comptes, il existe douze mécanismes
de compensations et sept dispositifs de transferts
qui obéissent souvent à des règles disparates, qui
font l'objet de modifications fréquentes et dont la
base juridique est parfois incertaine ".
Séparer les branches
Il est donc indispensable de mettre un terme à ces
opérations et de rendre chaque branche de la sécurité
sociale étanche par rapport aux autres afin de pouvoir
organiser chacune d'entre elles selon sa logique propre
avec une autonomie de gestion et de stricte indépendance
financière. Il convient en outre d'établir une distinction
claire entre ce qui relève de la solidarité ou de
l'assistance et ce qui appartient au domaine de l'assurance
ou de la prévoyance : d'un côté les prestations familiales,
les aides au logement et l'aide sociale, de l'autre
les retraites et les assurances, qu'elles soient liées
à la maladie, au chômage, à l'invalidité ou aux accidents
du travail.
Ce qui procède de la solidarité et de l'assistance
doit sortir du champ de compétence de la sécurité
sociale et cesser d'être prélevé par des cotisations
sur les salaires, car il n'est pas juste de faire
supporter aux seuls employeurs et salariés des contributions
qui concernent la fraternité nationale et, à ce titre,
l'ensemble de la nation. Les dépenses de solidarité,
à commencer par celles liées à la famille, devront
donc être imputées au budget de l'État et financées
par des ressources fiscales. Elles seront à réorganiser
dans le cadre des initiatives que prendra l'État en
ce domaine, conformément à la politique de fraternité
française, et notamment de préférence familiale, préconisée
par le Mouvement national républicain.
La sécurité sociale, dont le champ d'application
sera dorénavant limité à l'assurance et à la prévoyance,
devra quant à elle faire l'objet d'une réorganisation
d'envergure. Son domaine, qui avec l'assurance maladie,
les assurances chômage et les retraites, représentait
environ 1 800 milliards de francs en 1994, constitue
en effet le gros des dépenses de la protection sociale
et doit donc à ce titre être réformé en profondeur.
La caisse des immigrés
Il convient dans cet esprit de commencer par créer
une caisse spéciale de sécurité sociale affectée aux
immigrés afin que les comptes sociaux de ces derniers,
qui laissent apparaître un déficit considérable, ne
soient plus à la charge des Français. Les chiffres
officiels du coût des non-nationaux pour la protection
sociale sont actuellement inexistants ou secrets,
mais une étude, jamais contredite, effectuée par M.
Pierre Milloz, montre qu'en 1995, la différence entre
les prestations reçues par les immigrés et les cotisations
qu'ils payent s'élevait à 71 milliards de francs,
soit nettement plus que le montant du déficit de la
sécurité sociale.
Ce poids financier n'est pas acceptable et une caisse
spéciale, réservée aux étrangers, sera donc créée
afin d'établir la vérité des "prix" et de fixer en
permanence le montant des prélèvements au niveau nécessaire
pour assurer l'équilibre des comptes. Cette mesure
de sauvegarde, instituant deux régimes de cotisation
selon que l'assuré est français ou étranger, supprimera
d'emblée l'une des causes principales du déficit des
assurances sociales. Facile à mettre en œuvre, une
telle réforme instaurera dans le domaine de la sécurité
sociale une préférence nationale de fait qui lui conférera
une légitimité indéniable car, lorsqu'il y a pénurie
de crédits, ceux-ci doivent être affectés en priorité
aux Français. En alourdissant le coût de la main-d'œuvre
étrangère, cette disposition contribuera de surcroît
à dissuader les employeurs de recourir aux travailleurs
immigrés, ce qui favorisera l'emploi des Français
et le retour chez eux des populations du tiers monde.
Ainsi allégée, la sécurité sociale devra ensuite
être réorganisée tant au niveau de l'assurance maladie
que du système des retraites.
Le monde d'Ubu
La caisse nationale d'assurance maladie présente
aujourd'hui de graves faiblesses qui en font un système
à la fois coûteux et inefficace, gangrené par le gaspillage
et le laxisme. Avec une dépense annuelle de 700 milliards
de francs, elle est l'une des plus chères du monde,
en tout cas la plus chère d'Europe, alors que notre
pays est loin d'être celui où les remboursements sont
les plus importants, ni celui où les soins sont le
mieux assurés.
Selon 1'OCDE, la France ne se situe qu'au treizième
rang mondial pour l'espérance de vie et au quatorzième
rang pour la mortalité infantile. Cotisations très
élevées, remboursements médiocres, santé publique
moyenne, gaspillage considérable, tel est le triste
bilan du système français de l'assurance maladie.
Une étude parue dans Capital a décelé des sources
de gabegie pratiquement à tous les niveaux de la chaîne
sanitaire. La consommation de médicaments en France
est souvent si excessive que, chaque année, dix mille
malades sont hospitalisés pour intoxication médicamenteuse.
Sans compter les produits payés, remboursés et non
utilisés : une boîte de médicaments sur cinq achetée
en pharmacie n'est jamais consommée. A l'hôpital,
les dysfonctionnements se multiplient, et les distorsions
de coût entre établissements font apparaître des insuffisances
dans la gestion et des gaspillages de grande ampleur
dans l'utilisation des crédits. L'hôpital de Corbeil-Essonne
coûte deux fois plus cher à la sécurité sociale (3
201 francs par jour d'hospitalisation) que celui de
Châlons-en-Champagne (1 501 francs). L'hôpital de
Montreuil, deuxième ville malienne du monde après
Bamako, compte trois fois plus de médecins que celui
de Bourg-en-Bresse pour un volume d'activité quasi
identique. Et comment se fait-il que la même journée
d'hospitalisation dans un service de transplantation
cardiaque soit facturée et remboursée 2 832 francs
à Limoges et 13 025 francs à Nice ?
Dépourvu de règles et d'indicateurs de gestion efficaces,
n'exerçant aucun contrôle sur l'octroi des prestations
et administrant sans rigueur les établissements, le
monde de l'assurance maladie fait penser à celui d'Ubu.
Ainsi, plus de la moitié des personnes qui vont consulter
spontanément un cardiologue ne souffrent en réalité
d'aucune affection cardiaque. Quant aux prothèses
prises en charge sans plafonnement et à 100 p. cent,
la sécurité sociale les remboursait quel que soit
le prix fixé unilatéralement par les fabricants. Une
pratique qui, si elle était une aubaine pour certains,
coûtait cependant un million de francs par jour aux
organismes de protection sociale. Il est vrai que
la fraude, telle qu'elle est pratiquée, constitue
à coup sûr une source considérable de gaspillage.
En 1995, la caisse primaire d'assurance maladie de
Valenciennes a effectué un sondage de contrôle sur
les arrêts de travail pour raison de santé : sur six
cent cinquante cas contrôlés, 52 p. cent n'étaient
pas justifiés ! En une année, 10 millions de francs
de crédits sont ainsi dilapidés pour le seul organisme
de Valenciennes qui n'est que l'une des cent vingt-neuf
caisses primaires de France ! Et que dire des escroqueries
à l'identité pratiquées par les étrangers qui font
profiter de leur carte de sécurité sociale tous les
membres de leur famille souvent venus d'Afrique à
cette fin ?
La gabegie est si générale et si profonde que le
rapport Béraud estimait à une centaine de milliards
de francs le montant des économies susceptibles d'être
réalisées. Encore faut-il, pour réussir un assainissement
de cette ampleur, entreprendre une réforme de grande
envergure de l'assurance maladie et la refonder sur
des bases plus saines.
Sauvée des lobbies
Tout d'abord, il est indispensable de soustraire
la caisse nationale et les caisses locales à la mainmise
des lobbies qui la dirigent avec laxisme et souvent
pour leur seul profit. Depuis la Libération, l'assurance
maladie est théoriquement dirigée conjointement par
les syndicats et le patronat, mais, dans la pratique,
ce sont les organisations syndicales, et plus particulièrement
Force ouvrière jusqu'en 1996, qui assurent 1'administration
effective de la branche maladie. Or, une enquête récente
a révélé que FO retirait de cette position éminente
à la tête de l'assurance maladie d'innombrables avantages
plus ou moins licites. Plus de mille permanents de
la centrale étaient payés par la sécurité sociale,
les fonds de formation prévus pour les salariés des
caisses étaient souvent utilisés au profit de ce syndicat,
tout comme les comités d'entreprise servaient à son
financement. Et là ne s'arrête pas le scandale. Que
dire en effet du parc immobilier de la caisse nationale
d'assurance maladie qui offre des appartements de
grand luxe pour des loyers dérisoires à de hautes
personnalités du monde politique, syndical ou du spectacle
?
Sans doute les sommes ainsi dilapidées sont-elles
minimes au regard des centaines de milliards dépensés
chaque année par l'assurance maladie, mais ces détournements
ne sont-ils pas révélateurs du laxisme avec lequel
les prétendus partenaires sociaux ont assumé leurs
responsabilités ? Comment s'étonner dès lors que la
sécurité sociale compte cent quatre-vingt-quatre mille
employés quand il y a cent soixante-cinq mille médecins
en France, que l'informatisation y soit aussi peu
développée et qu'aucune réforme interne n'y soit possible
depuis des décennies ?
Pour mettre un terme à cette grave dérive, il est
donc nécessaire de dessaisir les partenaires sociaux
de la gestion de la sécurité sociale pour la confier
à l'État qui en est, au nom des Français, le véritable
responsable. Il faut transformer la caisse nationale
d'assurance maladie en un établissement public géré
directement par l'État et la restructurer pour en
améliorer de façon spectaculaire la productivité.
Plusieurs audits seront menés et leurs conclusions
mises en œuvre pour introduire dans le système de
santé des normes modernes de management et inciter
tous les acteurs à la productivité et par conséquent
à l'économie.
Soigner la gestion
Les méthodes actuelles de gestion sont en effet
trop souvent absurdes. C'est le cas du recours systématique
à l'indicateur du taux de remplissage des lits pour
juger de la rentabilité d'un hôpital. Procédé qui
pousse les directeurs d'établissements hospitaliers,
pour éviter de déclarer trop de lits inoccupés, à
allonger arbitrairement la durée d'hospitalisation
des malades, ce qui est contraire à la fois à la bonne
gestion et à la bonne médecine. Ainsi la durée moyenne
d'hospitalisation pour une opération de la cataracte
est de dix jours en France, de sept jours en Grande-Bretagne
et de quatre jours aux États-Unis. L'avenir est au
contraire au développement de la chirurgie et de la
médecine ambulatoire, lesquelles présentent le double
avantage de réduire spectaculairement les dépenses
hospitalières et d'offrir aux malades un confort psychologique
et même médical bien supérieur puisqu'on leur assure
le soutien de leurs proches et qu'on les met à l'abri
du risque de contamination par les microbes hospitaliers.
Or, cette technique n'est pratiquée que dans 5 p.
cent des cas en France, alors qu'elle connaît un essor
beaucoup plus important dans plusieurs autres pays
européens.
De telles réformes sont donc à multiplier en même
temps que doit être inculqué aux acteurs de santé
le souci de la bonne gestion économique. Il ne suffit
plus de bien soigner, il faut également mieux gérer
les dépenses médicales. En médecine aussi, la qualité
doit primer la quantité : il faut consommer moins
pour consommer mieux. Un impératif d'autant plus légitime
que la corrélation entre l'augmentation de la consommation
médicale et l'allongement de la durée de vie est loin
d'être totale, car les études montrent que d'autres
facteurs interviennent aussi comme l'hygiène de vie,
la qualité de l'alimentation et l'amélioration des
conditions de travail. Pour faciliter la prise en
compte de cet impératif économique par les praticiens,
notamment dans le secteur libéral, il est nécessaire
de mieux réguler leurs effectifs. Si un numerus clausus
limite leur nombre aux stricts besoins de la population,
les médecins seront tous assurés de pouvoir se constituer
une clientèle et ils ne seront plus incités, pour
conserver leurs patients, à multiplier, comme c'est
souvent le cas aujourd'hui, les actes et les prescriptions,
quand ce ne sont pas les arrêts de travail non justifiés.
La logique de l'assurance
La reprise en main de l'assurance maladie par l'État
et les efforts que celui-ci déploiera pour réaliser
les économies, améliorer la gestion et responsabiliser
les acteurs concernés ne porteront cependant leurs
fruits qu'à la condition de sortir de la logique actuelle
pour retrouver celle de l'assurance. Aujourd'hui,
le système laisse croire aux Français qu'ils bénéficieraient
d'un mécanisme quasi magique leur assurant la gratuité
des soins, comme conséquence d'un droit immanent.
Mécanisme directement issu de la pensée marxiste qui
prévalait lors de la création de la sécurité sociale
et qui, à bien des égards, amène l'assurance maladie
à fonctionner un peu à la manière des systèmes qui
avaient cours naguère dans les pays communistes: la
gratuité assurée par l'État avec, comme corollaire,
le rationnement imposé au consommateur. Certes. il
n'y a pas en France de files ou de listes d'attente
pour consulter un médecin ou être admis à l'hôpital,
mais les mesures bureaucratiques imposées aux professionnels
de la santé ou aux établissements médicaux pour tenter
d'enrayer la croissance des déficits s'apparentent
bien à une forme de rationnement des soins. Il convient
donc de rappeler aux Français que le financement de
la sécurité sociale est assuré par leurs cotisations
tant salariales que patronales ou par leurs impôts
et que l'assurance maladie n'est, comme son nom l'indique,
qu'une assurance à laquelle ils souscrivent pour couvrir
le risque qu'ils encourent de tomber malades.
Pour renouer avec le principe de l'assurance, il
faudra introduire deux degrés de liberté supplémentaires
dans le système.
Le premier consiste à offrir aux assurés sociaux
une plus grande latitude dans le choix du niveau de
couverture sociale qu'ils désirent. Aujourd'hui, l'assurance
maladie impose un système unique et obligatoire auquel
les mutuelles apportent des compléments à la demande.
Il serait souhaitable que la caisse nationale d'assurance
maladie elle-même puisse proposer différents modes
de protection tout en maintenant une protection minimum
obligatoire qui couvre largement les risques les plus
graves et les plus coûteux, mais en proposant de surcroît
une série d'autres contrats modulés selon les besoins
et les désirs des assurés.
Le second degré de liberté passe par l'introduction
du principe de la concurrence contrôlée à l'intérieur
même du système de la sécurité sociale. Cette dernière,
totalement subordonnée à l'État, aurait pour tâche
de mettre en œuvre, d'encadrer et de réguler non seulement
l'activité de la caisse nationale d'assurance maladie,
mais aussi l'intervention d'autres opérateurs-mutuelles
ou compagnies d'assurance - qui, dûment sélectionnées
et agréées par la puissance publique, pourraient,
en concurrence avec la caisse étatique, venir proposer
leurs prestations aux Français.
La liberté des assurés
Ceux-ci seraient désormais en mesure de choisir
non seulement leur niveau de couverture, mais aussi
l'organisme qui, au sein de la sécurité sociale, serait
chargé de les assurer. Il s'ensuivrait une clarification
et une simplification du bulletin de salaire sur lequel
devrait figurer au bénéfice du salarié l'ensemble
de ce qui est versé à son profit par l'entreprise
: salaire net, cotisations salariales et charges patronales
additionnés. Chaque salarié après avoir choisi son
organisme d'assurance sociale et son niveau de couverture
verrait apparaître sur son bulletin de salaire les
prélèvements correspondant à ses options. Ceux qui
choisiraient un degré de couverture plus élevé ou
un organisme dont les prestations sont plus coûteuses
percevraient un salaire net réduit en conséquence
et inversement.
Cette liberté nouvelle accordée aux Français devrait
produire des effets très bénéfiques sur la maîtrise
du système d'assurance maladie. En premier lieu nos
compatriotes reprendront conscience du coût réel de
la protection sociale et du fait qu'elle fonctionne
comme une assurance dont le financement est effectué
par leurs cotisations. Ils seront donc amenés spontanément
à adopter une attitude plus responsable à l'égard
des dépenses de santé.
Par ailleurs, la possibilité qu'ils auront de choisir
leur degré de couverture au-delà des risques majeurs
les conduira à décider eux-mêmes de la part de leur
budget qu'ils souhaitent consacrer aux petits risques
de santé. Au lieu d'être réalisés à coups de rationnements
par la technostructure, les arbitrages financiers
s'opéreront donc tout naturellement à travers la multiplicité
des décisions individuelles des Français. A la macro-régulation
autoritaire, irresponsable et collectiviste, se substituera
une micro-régulation individuelle, responsable et
volontaire.
Enfin, l'existence d'une concurrence contrôlée au
sein de la sécurité sociale entre la caisse nationale
d'assurance maladie étatiste et des opérateurs privés
créera une saine émulation permettant de réduire les
coûts de gestion, de mettre un terme au gaspillage
et au laxisme qui règnent aujourd'hui dans le système
de santé.
Au service des Français
Dans un premier temps, ce dispositif devra être
mis en œuvre en maintenant à la caisse nationale d'assurance
maladie le monopole de la couverture minimum obligatoire.
Celle-ci sera définie comme l'assurance indispensable
pour protéger les personnes des graves aléas médicaux
de l'existence. Elle exclura en conséquence les soins
pour les maladies de la vie quotidienne. Le montant
des cotisations correspondantes sera donc baissé à
due concurrence, de façon que les patients puissent,
s'ils le veulent, financer leurs autres dépenses de
santé par l'une des assurances complémentaires proposées
par ailleurs. La caisse nationale d'assurance maladie,
en conservant la responsabilité de la couverture minimum
obligatoire pour tous les Français, permettra de maintenir,
sans le moindre risque, l'universalité de la protection
sociale et la solidarité entre nos compatriotes. Dans
le même temps, l'introduction de la concurrence contrôlée
pour les couvertures complémentaires introduira dans
le système de la sécurité sociale le ferment de l'émulation
et de l'efficacité.
C'est donc dans un deuxième temps seulement, lorsque
les garanties de solidarité sociale seront réunies
et que le besoin s'en fera sentir, que pourra être
envisagée l'extension de la concurrence régulée à
l'ensemble des prestations, y compris à celle correspondant
à la couverture minimum.
Ainsi, la modernisation de la sécurité sociale sera-t-elle
conçue de telle sorte que le système continue de servir
la fraternité nationale. Dans cet esprit, les opérateurs
habilités à intégrer le dispositif de la sécurité
sociale ne pourront être que des sociétés à capitaux
français, investissant en France et ne recrutant que
du personnel français. Ils seront sélectionnés, agréés
et contrôlés en permanence par l'État qui définira
l'ensemble de leurs règles de fonctionnement. C'est
notamment lui qui fixera le régime de cotisation de
façon à permettre une comparaison claire entre les
offres des différents opérateurs et à maintenir une
proportionnalité entre les versements et les revenus.
Il sera en outre interdit de sélectionner les risques
et de refuser des assurés. L'État garantira l'ensemble
du dispositif de telle sorte que personne ne soit
pénalisé en cas de défaillance d'un opérateur. Enfin,
le système devra rester totalement ouvert afin que
chacun puisse changer d'organisme et notamment revenir
à la caisse nationale d'assurance maladie ou la quitter.
Ainsi, cette dernière sera assurée de conserver au
sein de la sécurité sociale une position prééminente,
puisque les opérateurs privés, par ailleurs soumis
aux mêmes contraintes que celles qui lui sont imposées,
n'auront d'autre rôle que de la contraindre par la
concurrence à l'efficacité et à la rigueur.
Le meilleur du monde
Un système analogue existe déjà dans plusieurs pays
étrangers et vient notamment d'être mis en place en
Allemagne. Ce système paraît efficace puisque les
contrats d'assurance maladie actuellement proposés
à nos voisins d'outre-Rhin coûtent annuellement à
leurs titulaires environ 12 000 francs pour des prestations
sensiblement meilleures que celles versées par la
sécurité sociale, alors que l'assurance maladie d'un
travailleur français touchant le SMIC revient, part
patronale et part salariale comprises, à environ 14
400 francs.
Ainsi modernisée, la sécurité sociale française
bénéficiera tout à la fois d'un renforcement de la
présence de l'État et de l'enrichissement que lui
apportera l'intégration en son sein d'opérateurs privés.
Elle cumulera les avantages d'une garantie étatique
totale et ceux d'une saine émulation, facteurs de
bonne gestion. Enfin, elle cessera d'être une organisation
bureaucratique et sclérosée pour offrir aux assurés
sociaux une variété d'options et de services. Il en
résultera une réelle maîtrise du budget santé de la
nation, une meilleure efficacité de gestion et une
plus grande liberté de choix pour les assurés. La
sécurité sociale disposera à nouveau de tous les atouts
pour redevenir l'un des meilleurs systèmes d'assurance
maladie au monde.
Les deux mesures
S'agissant des retraites, la situation catastrophique
du système actuel impose par ailleurs une réforme
de même ampleur.
L'évolution démographique est telle que le nombre
de cotisants par retraité, qui était encore de 2,24
en 1995, tombera à 1,94 en 2010 et, si rien ne change
d'ici là, à 1,50 en 2 040. Il en résulte, selon le
Livre blanc sur les retraites, qu'au rythme actuel
le taux de cotisation devra progressivement être multiplié
par deux dans les trente cinq ans à venir, à moins
que le montant des pensions ne soit de son côté divisé
par deux. Dans le cadre actuel, le dilemme se présente
donc selon une terrible simplicité : faire payer massivement
les cotisants ou rationner de façon drastique les
retraités.
C'est d'ailleurs vers l'une et l'autre de ces deux
mesures que s'orientent déjà depuis plusieurs années
les gouvernements de la classe politicienne. Pour
des cotisations identiques, le montant des pensions
est en effet progressivement rogné puisque d'ici à
2008, ce ne seront plus les dix mais les vingt-cinq
meilleures années qui serviront de base au calcul
des retraites et qu'à partir de 2003, la durée de
cotisations requise pour bénéficier d'une pension
complète ne sera plus de trente-sept années et demi
mais de quarante. Les régimes complémentaires salariés
et cadres gérés par l'ARRCO et l'AGIRC connaissent
eux aussi la même dérive avec des cotisations qui
augmentent et des revalorisations de pension de plus
en plus limitées. Déjà, le prix d'achat des points
de retraite supplémentaires s'est élevé : auparavant
100 francs versés rapportaient 9,20 francs à l'AGIRC
et 8,70 francs à 1'ARRCO, à partir de l'an 2000 ils
ne rapporteront plus que 7,20 francs. De telles mesures,
certes relativement indolores au moment de leur adoption,
vont, en s'accumulant, créer des situations de plus
en plus inacceptables où les jeunes générations se
ruineront sans pour autant assurer aux retraités les
pensions sur lesquelles ils comptaient.
Aussi apparaît-il urgent de modifier la logique
du système actuel et de prendre deux mesures de grande
envergure.
La première consiste à engager une politique familiale
ambitieuse et énergique propre à relancer la natalité
française et à assurer de nouveau le renouvellement
des générations. Tel est le sens des initiatives prises
par ailleurs au titre de la fraternité française pour
mettre en œuvre la préférence familiale et instaurer
notamment un revenu parental en faveur des familles
françaises. Cette démarche pourrait provoquer en peu
de temps un sursaut salutaire, entraîner un surcroît
de naissances et permettre une amélioration à terme
de la situation des retraites. Le retour rapide à
un taux de fécondité de 2,1 permettrait en effet de
stabiliser la population active et donc de limiter
les effets néfastes des évolutions en cours. Une telle
politique ne dispense cependant pas de modifier le
système actuel de fonctionnement des retraites car
la relance démographique ne compensera pas, au moins
dans la première partie du XXIe siècle, les effets
du vieillissement de la population. Il est donc nécessaire
de remettre en cause la logique du dispositif en vigueur
et de prendre une seconde mesure d'envergure visant
à compléter le système de répartition par un mécanisme
de capitalisation.
Capitalisation et répartition
Pareille évolution s'impose d'autant plus que la
configuration d'aujourd'hui n'est ni motivante ni
juste. En déconnectant totalement les cotisations
versées de la retraite perçue, elle pousse les individus
à l'irresponsabilité et crée l'injustice entre les
générations. Les premiers retraités ont en effet bien
souvent bénéficié d'une pension sans avoir eu à la
financer intégralement, alors que les Français qui
cotisent actuellement risquent de voir leurs retraites
amputées et donc de ne pas recevoir le fruit de leurs
efforts. Ajoutons qu'avec le mécanisme de prévoyance
par répartition, l'iniquité se manifeste aussi au
plan social. En effet, l'ouvrier commence à travailler
beaucoup plus tôt que le cadre supérieur, alors que
le premier dispose d'une espérance de vie plus courte
que le second, celle-ci étant en corrélation avec
le niveau de revenu. Dès lors, l'ouvrier cotise beaucoup
plus longtemps que le cadre supérieur pour une retraite
qui, statistiquement, sera plus courte. Le système
par répartition n'est donc plus viable en l'état.
Non seulement il crée l'irresponsabilité et l'injustice,
mais son financement n'est plus assuré et la confiance
des cotisants, pourtant indispensable comme dans tout
mécanisme de prévoyance, ne lui est plus acquise.
Pour redresser la situation, il est donc nécessaire,
tout en maintenant le système actuel qui restera le
socle de la protection sociale, d'offrir parallèlement
la possibilité à ceux qui le veulent de se constituer
une retraite par capitalisation.
Le capital retraite
Selon ce mécanisme, les actifs doivent pouvoir épargner
et donc investir pour bénéficier dans leurs vieux
jours des revenus du capital qu'ils auront ainsi accumulé.
Plus précisément, le système de retraite par capitalisation
pourrait fonctionner de la façon suivante. Chaque
travailleur ouvre un compte personnel auprès d'une
société spécialisée où il cotise mensuellement pour
constituer son capital retraite. Lorsqu'il cesse son
activité. il bénéficie des fonds accumulés sur son
compte selon deux procédés qui peuvent d'ailleurs
être combinés. Le premier consiste pour lui à percevoir
une rente viagère qui lui est versée jusqu'à sa mort
par la société de capital retraite. Dans l'autre formule,
il touche seulement les dividendes de son capital,
conservant ainsi la pleine propriété de son avoir
qu'il peut transmettre à ses descendants. Une fois
qu'il a atteint le minimum obligatoire, le salarié
peut prendre sa retraite, même s'il n'a pas atteint
l'âge légal : en cotisant plus fortement, il est donc
possible de partir plus tôt à la retraite.
L'État, quant à lui, garantit l'ensemble du système,
il se substitue le cas échéant aux opérateurs défaillants
et assure notamment une retraite minimum aux plus
démunis. A cet égard, le dispositif de retraite par
capitalisation n'est pas moins social ni moins sûr
que le mécanisme actuel fondé sur la répartition.
Il ne s'agit nullement d'abandonner le système de
prévoyance aux aléas d'une gestion purement privée
et aux risques qui y sont liés sur la longue période.
Dans un cas comme dans l'autre, c'est la puissance
publique qui garantit la fiabilité et la pérennité
des engagements pris. Ceux qui dénigrent une telle
perspective sont donc de mauvaise foi. D'autant que,
dans le pire des cas, il est toujours possible de
repasser d'un système par capitalisation à un mécanisme
par répartition.
Dans le projet envisagé, les sociétés de capital
retraite sont des sociétés spécialisées choisies par
le futur pensionné et non pas, comme c'est le cas
pour les fonds de pension, la société où il travaille.
Faute de quoi le système serait à la fois injuste
et dangereux puisqu'il priverait tous les Français
qui ne sont pas salariés de grandes firmes de la possibilité
de se constituer une retraite par capitalisation,
qu'il rendrait difficile la mobilité des travailleurs
et ferait courir à leur épargne les risques économiques
de leur entreprise. Toutes les garanties sont donc
à prendre pour assurer la sécurité et la stabilité
du système. Les sociétés de capital retraite sont,
à cette fin, sévèrement encadrées par l'État, tenues
par la loi d'assurer un rendement minimum aux fonds
versés et de les indexer pour les prémunir contre
l'inflation. Pour exercer leur activité, elles doivent
faire l'objet d'un agrément de l'État, être françaises,
ne pas effectuer de placements à l'étranger et se
soumettre à une réglementation très stricte de nature
à garantir la sécurité et la diversité de leurs investissements.
Pour empêcher la fraude ou les détournements, elles
ne peuvent se livrer à d'autres activités que celles
de la gestion des fonds de retraite, les cotisants,
quant à eux, restant cependant libres de changer de
société s'ils le souhaitent.
Ce système, qui rend chacun responsable de sa retraite,
offre une très grande liberté de choix puisqu'il permet
de décider du montant de sa pension et de l'âge auquel
on cesse son activité. Il peut de surcroît se révéler
très avantageux, notamment pour les Français aux revenus
modestes. Un travailleur payé au SMIC, c'est-à-dire
environ 6 500 francs bruts, bénéficie chaque mois
d'une cotisation retraite de 1400 francs. Après quarante
années de travail, il aura droit à une retraite mensuelle
de 4 200 francs. Dans le système par capitalisation,
la même cotisation permet d'obtenir au bout de la
même période, pour un taux réel annuel de 4 p. cent,
un capital de 1 550 000 francs environ. Replacée dans
les mêmes conditions pendant vingt-cinq ans, cette
somme produira une rente mensuelle de 7 800 francs
par mois, versement d'intérêts et remboursement de
capital additionnés~ somme nettement supérieure à
celle dégagée dans le système par répartition. Si
le retraité choisit de préserver son capital, il percevra
une pension moins élevée dont le montant s'établira
néanmoins à environ 5 000 francs par mois et cela
jusqu'à sa mort, date à laquelle son capital sera
transmis à ses héritiers. Des calculs comparables
effectués par plusieurs instituts d'étude économique
confirment ces conclusions : à cotisation égale, le
système par capitalisation assure une pension supérieure
à ce que procure le système par répartition. Ajoutons
que le détenteur du capital pourra prévoir de céder
celui-ci en cas de décès à son épouse et à ses enfants,
alors que, dans le système par répartition, un salarié
qui meurt au lendemain de sa mise à la retraite aura
cotisé toute sa vie pour rien ou pour laisser seulement
une pension de reversion de 50 p. cent à son épouse.
De plus, la capitalisation contribue par ailleurs
à renforcer et à généraliser les patrimoines, en même
temps qu'elle mobilise une épargne considérable susceptible
de financer l'économie. Il constitue donc un facteur
supplémentaire de prospérité et d'harmonie pour la
nation.
Gérer la coexistence
Y a-t-il alors lieu de s'étonner qu'un tel système
suscite l'intérêt des Français, comme le montre une
enquête du CREDOC effectuée en 1994 selon laquelle
75 p. cent des personnes interrogées sont prêtes à
adhérer individuellement à un fonds d'épargne retraite
? De nombreux pays occidentaux l'ont d'ailleurs déjà
adopté. Ainsi, c'est lui qui a permis au Chili de
sauver le régime des retraites. Et est-ce un hasard
si le gouvernement de M. Juppé, malgré sa pusillanimité,
avait effectué un premier pas dans cette voie ? Même
si le choix qu'il a fait d'ouvrir les fonds de pension
au sein même des sociétés où travaillent lés salariés
concernés est éminemment malsain et doit être rejeté,
ce geste allait néanmoins dans la bonne direction.
Certes, la difficulté réside dans la phase de transition
d'un système à l'autre, car, pour payer les retraites
actuelles, on est obligé d'utiliser les cotisations
versées par les actifs. Or, on ne peut évidemment
pas demander à ceux-ci de payer deux fois, une fois
pour les pensions versées à leurs aînés dans le cadre
du système par répartition et une deuxième fois pour
leur propre retraite dans celui du système par capitalisation.
La solution consiste à faire prendre en charge par
l'État les décalages financiers résultant du passage
des Français d'un système à l'autre. Ainsi ceux de
nos compatriotes qui choisiront de cotiser à un fonds
de retraite par capitalisation créeront, en les quittant,
un manque à gagner et donc un déficit dans les caisses
par répartition. Il appartiendra à l'État de lancer
un emprunt destiné à diluer sur plusieurs décennies
le coût de cette phase intermédiaire, emprunt qui
bénéficiera d'une très large exonération fiscale de
manière à réduire son taux.
Au sein de ce mécanisme d'amortissement progressif,
la puissance publique pourra faire appel aux capitaux
mobilisés par les sociétés de capital retraite qui
seraient alors obligées de souscrire une partie de
leurs avoirs en obligations d'État. Cette méthode
permettrait de faciliter le financement de la période
de transition et de mieux en étaler le remboursement
dans le temps. Notons à cet égard que, dans le système
actuel, l'Etat a en réalité d'ores et déjà contracté
une dette, non comptabilisée mais bien réelle, à l'égard
des cotisants et que le financement auquel il serait
astreint par le passage au système par capitalisation
reviendrait en réalité à l'honorer et donc à rendre
effectifs des engagements qui, bien que non formalisés,
n'en sont pas moins réels. La prise en charge par
l'Etat du coût de la transition est donc non seulement
légitime au plan politique mais aussi parfaitement
régulière au plan comptable.
L'ampleur des bouleversements financiers qui résulteraient
d'un basculement entre les deux systèmes est telle
qu'il n'est pas question de le provoquer autoritairement
et brutalement. La politique à mener doit donc viser
à mettre progressivement en place un système de retraite
par capitalisation en parallèle avec le système par
répartition. Dès lors, l'État devra définir la fraction
des cotisations retraite obligatoires que chacun sera
autorisé à affecter en concurrence à l'un ou à l'autre
des deux systèmes. Nos compatriotes pourront donc,
dans ce cas, choisir le mécanisme qu'ils préfèrent
et dans lequel ils ont le plus confiance. Les uns
en resteront intégralement à la retraite par répartition.
Les autres choisiront de réduire celle-ci et de la
compléter par une retraite par capitalisation dont
ils pourront de surcroît augmenter le montant en abondant
la cotisation de base par des versements supplémentaires
volontaires.
Ce dispositif mixte permettra, en modifiant le taux
de cotisation ouvert à la concurrence, d'élargir progressivement
le champ de coexistence entre les deux systèmes et
donc de réduire, en les étalant sur la durée, les
difficultés liées à l'émergence du système de retraite
par capitalisation.
Le choix du long terme
La mise en place de ces dispositions constituerait
à l'évidence une novation d'envergure dans le système
de prévoyance français. Et si une telle réforme peut
paraître audacieuse, elle se révèle néanmoins nécessaire,
car c'est uniquement en faisant croître la part des
retraites financées par capitalisation que l'on apportera
une solution économique définitive aux déséquilibres
démographiques à venir. Certes, le redressement de
la natalité peut avoir lieu, mais l'inertie en ce
domaine est telle que même dans cette éventualité,
il faudra faire face à un grave déséquilibre pendant
deux à trois décennies.
Certains pourront prétendre que cette période correspond
précisément à la phase de transition d'un système
à l'autre, laquelle posera elle aussi des problèmes
financiers et qu'il vaut donc mieux ne rien changer
et miser sur le renouveau démographique. Un tel immobilisme
serait criminel, car le redressement de la natalité
n'est pas garanti et mieux vaut dans tous les cas
adopter la solution courageuse qui permet d'affronter
le pire, outre qu'elle est aussi la meilleure sur
le plan économique et social. Pour résoudre cette
question comme bien d'autres, il est temps de privilégier
le long terme par rapport au court terme et de reconstruire
les bases de notre pays dans une perspective de longue
durée. C'est d'ailleurs ce choix, et lui seul, qui
peut inspirer la confiance tant au peuple qu'aux acteurs
économiques et financiers.
Malgré les formidables pressions qui tendent à faire
voler en éclats le système social français, il est
donc possible de mettre en œuvre des solutions économiquement
viables et socialement bénéfiques pour sauver la protection
sociale de notre pays.